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20 : 15 mars 1849 - Le « Sergent nécrophile »
Cimetière du Montparnasse
Cimetières en France, rapide rappel historique
Jusqu’en 1789, tous les cimetières étaient confessionnels (catholique, protestant, juif). L’organisation des obsèques, la cérémonie, l’inhumation, la sépulture étaient les domaines réservés de la religion. Mais sous la IIIe république, ce pré-carré religieux va connaître une profonde réforme due essentiellement à des raisons d’hygiène. Les préoccupations de salubrité publique amènent la dépossession progressive des cimetières par les autorités religieuses. Dès 1804, un cadre juridique impose le caractère communal du cimetière. Ce monopole instaure alors le principe d’égalité face à la mort, laissant néanmoins aux croyants la possibilité d’une inhumation selon les rites funéraires religieux de leur choix.
Conformément à la loi du 14 novembre 1881, ces « espaces regroupant les défunts de même confession » ne doivent pas être isolés des autres parties du cimetière par une séparation matérielle.
21 cimetières parisiens, 15 intra muros et 6 extra muros.
Les premiers grands cimetières parisiens furent les nécropoles païennes de la rue Nicole et du monceau Saint-Gervais. Puis les cimetières chrétiens du bd Saint-Marcel et de la montagne Sainte-Geneviève.
Un cimetière est ouvert rue Saint-Paul à l’époque mérovingienne et un autre près de Saint-Germain-des-Prés.
Puis au VIe siècle, autorisation fut donnée à certains privilégiés d’être inhumés dans l’église de leur paroisse ; les moins fortunés devaient se contenter des fosses communes du cimetière paroissial (fosses qui restaient ouvertes tant qu’elles n’étaient pas remplies).
Cette multiplication des cadavres dans les fosses communes puis dans des charniers entraînèrent tant de nuisance que les autorités se virent obligées de prendre des mesures de salubrité publique - Il y avait ainsi plus de 200 lieux d’inhumation dans Paris ! En 1780, un effondrement dans une rue avoisinant le cimetière des Innocents et le scandale qui s’ensuivit entraîna la fermeture des cimetières paroissiaux intra-muros et l’ouverture de trois grandes nécropoles :
Le cimetière de l’Est, alias le Père-Lachaise, en 1804.
Le cimetière du Nord ou de Montmartre (à ne pas confondre avec le cimetière Saint-Vincent), en 1825.
Le cimetière du Sud ou Montparnasse, en 1824.
Après l’annexion de 1860, plusieurs cimetières des communes intégrées dans le « Grand Paris » furent conservés : les Cimetières de Grenelle (1835), Vaugirard (1787), Auteuil (1793), Passy (1820), des Batignolles (1833), Saint-Vincent à Montmartre (1831), Bercy (1816), la Villette (1828), Belleville (1808) et le cimetière de Charonne (qui reste le dernier cimetière paroissial dans Paris).
D’autres nécropoles sont des cas particuliers tels que le petit cimetière du Calvaire, contigu à l’église Saint-Pierre de Montmartre, le cimetière de Picpus, qui a pour origine les fosses communes ouvertes en 1794 pour accueillir les corps des guillotinés de la place de la Nation et où sont inhumés des descendants de guillotinés, les Catacombes, où sont entreposés les restes des corps des cimetières paroissiaux et – surtout – du cimetière des Innocents, la colonne de Juillet accueillant les victimes des Trois Glorieuses, le Panthéon, la nécropole militaire des Invalides et la tombe du Soldat inconnu.
Par ailleurs, plusieurs cimetières extérieurs sont administrés par la Ville de Paris, certains créés dans les années 1880, pour faire face à l’accroissement de la population de la capitale (et la disparition de la fosse commune au profit du caveau) : la Chapelle (1850), Ivry (1861), Saint-Ouen (1872), Bagneux (1886), Pantin (1886).
Enfin, Gentilly et Montrouge, qui furent partiellement annexées en 1860, ont maintenant leur cimetière communal inséré dans Paris.
Le cimetière De Montparnasse
Il est installé sur un ancien enclos qui appartenait aux religieux de la Charité, dont le moulin existe encore.
Inauguré en 1824, il fut agrandi en 1847.
De 1825 à 1883, le cimetière contenait un « champ de navets » selon l’argot du bagne, la fosse commune où l’on enterrait les condamnés à mort. C’est donc ici que fut probablement enterré le fameux Lacenaire (cf. 9)
Quelques personnalités du XIXe siècle inhumées à Montparnasse :
Charles Garnier (cf. 26, chapitre sur l'opéra Garnier), Henri Poincaré (grand mathématicien), Frédéric Bartholdi (cf. 34), Aristide Boucicaut (fondateur du Bon Marché), Baudelaire (cf. 16), Jules Dalou (cf. pages Dalou), Emile Durkheim (philosophe), Joris-Karl Huysmans (écrivain décadent), Alfred Dreyfus (cf. 43), Emile Littré, Evariste Galois (cf. 12), Maupassant (mort à la clinique du docteur Blanche, cf. 18), Jean-Baptiste de Lamarck (cf. 3), Mounet-Sully (illustre comédien) et Edgar Quinet (homme politique républicain et anticlérical).
Le « sergent nécrophile »
En 1847, on constate une violation de sépulture, non pas à Montparnasse, mais à Bléré, près de Tours. La femme du fossoyeur a cru reconnaître, dans la nuit, la silhouette d’un jeune soldat.
Quelque temps plus tard, on constate de nouvelles profanations, au Père-Lachaise cette fois-ci. Aucun indice sinon la présence, une autre nuit, d’un jeune soldat blotti dans une fosse fraîchement creusée. Aux questions qu’on lui pose, il répond qu’il se nomme François Bertrand, sergent dans le 74e de ligne (dont il portait l’uniforme). La raison de sa présence ? Une attente trop longue lors d’un rendez-vous galant manqué, qui l’a conduit au sommeil. Les gardiens le reconduisent à la caserne de Reuilly.
Les profanations s’arrêtent au Père-Lachaise mais commencent à Ivry ; le cercueil fraîchement enterré d’une fillette de sept ans est ouvert, sa robe en lambeaux, le corps mutilé, le cœur arraché.
Mais c’est surtout à Montparnasse, l’année suivante, que les profanations vont se multiplier, toujours des corps de femmes mutilés et abandonnés dans les allées. Celui que l’on commence à appeler le « vampire de Montparnasse » échappe à la vigilance des gardiens et des fossoyeurs.
C’en est trop. On décide de tendre un piège au profanateur : les gardiens ont remarqué des traces d’escalade sur l’un des murs, des traces de boue ; les autorités prennent la décision d’installer un fusil chargé de mitraille dont la détente est reliée à un fil de fer discret installé en travers du passage. Il n’y a plus qu’à attendre, une attente qui dure des mois : le 15 mars 1849 vers minuit, une explosion. Les gardiens se précipitent, ont le temps de voir un homme qui réussit cependant à sauter de l’autre côté du mur.
L’examen des lieux montre des traces de sang et des lambeaux de vêtement militaire.
On enquête aux alentours du cimetière, on constate que des troupes sont en poste aux alentours de la barrière de Fontainebleau et aux abords du cimetière, dont le 74e de ligne, où on parle d’un sergent qui serait blessé et admis au Val-de-Grâce ; celui-ci reste évasif sur les circonstances de sa blessure.
Interrogé, il passe assez vite aux aveux. Il explique qu’il lui était arrivé d’ouvrir plus de dix cercueils dans une nuit, qu’il prenait plaisir à mutiler les cadavres, arracher les entrailles, disperser les lambeaux
Son procès se déroule le 10 juillet 1849 devant le tribunal militaire. Il est condamné à un an de prison pour « violation de sépulture », au grand dam du docteur Marchal de Calvi, qui avait recueilli ses confidences au Val-de-Grâce et avait plaidé son irresponsabilité en raison d'une monomanie destructive, compliquée de monomanie érotique.
Sa peine purgée, le « sergent nécrophile » est intégré dans le deuxième bataillon d’infanterie légère d’Afrique. Réintégrant la vie civile, il se marie en 1856 au Havre, devient commis, facteur, gardien de phare. Il meurt dans cette ville en 1878. On a constaté deux violations de sépultures dans la région du Havre en 1864 et en 1867…
Un sergent au-dessus de tout soupçon
Aucun de ses compagnons n’aurait imaginé que Bertrand était sujet à de telles pulsions. Il est décrit comme généreux, affable, apprécié pour gaieté et discipliné. Né à Voisey (Haute-Marne) en 1823, le jeune François est pourtant solitaire et profondément mélancolique. Les endroits où il se sent bien ? Les caves. Et son jeu favori consiste à dépecer les animaux, morts repêchés dans le canal ou tués de ses mains.
Arrivé à l’adolescence, son penchant morbide s’allie à ses pulsions érotiques : « Tout ce que l’on éprouve avec une femme vivante n’est rien en comparaison. J’embrassai cette femme sur toutes les parties du corps, je la serrai contre moi à la couper en deux […] Après avoir joui avec ce corps inanimé pendant un quart d’heure, je me mis à le mutiler, à lui arracher les entrailles comme à toutes les autres victimes de ma fureur […] Je rentrai à la caserne. »
Une incontestable prédilection pour les femmes ; pourtant, Bertrand dit avoir déterré plus de cadavres d’hommes que de femmes à Montparnasse, mais c’est faute de pouvoir trouver facilement un corps de femme et, si certains corps masculins sont mutilés, c’est simplement de rage !
L'histoire du sergent Bertrand a excité la curiosité de nombreux littérateurs et littératrices. Guy de Maupassant mentionne le Sergent Bertrand dans sa nouvelle La Chevelure en traitant un sujet qui s'apparente à la nécrophilie, et également dans sa nouvelle La Tombe.
Pour en savoir plus :
Jacques Hillairet : Dictionnaire historique des rues de Paris (Ed. de Minuit)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cimetières_parisiens#Cimetières_extra_muros
Guide de Paris mystérieux, tome II – (plusieurs rédacteurs dont Léo Malet, François Caradec, Denis Roche, Noël Arnaud – Presses Pocket)
Michel Dansel – Au Père-Lachaise (Fayard)
Michel Dansel – Portrait d’un nécrophile heureux (Albin Michel)
Céline Maltère – les Cahiers du sergent Bertrand (ed. Sous la Cape)