34 : 18 février 1879 - Le brevet de la statue de la Liberté

25, rue de Chazelles

Gallica.bnf.fr

Le 18 février 1879, Bartholdi obtient le brevet de la statue de la Liberté.

Sept ans plus tard, le jeudi 28 octobre 1886, au milieu de la rade de New-York, île de Bedloe, à la pointe sud de Manhattan, et au milieu de dizaines de bateaux bondés et des centaines de drapeaux américains et français, deux francs-maçons se serrent la main.

Auguste Bartholdi (1834-1904)

Atelier Nadar – gallica.bnf.fr

Originaire de Colmar, Auguste est né d’un conseiller de préfecture et de la fille du maire de Ribeauvillé, une mère persuadée des talents de son fils et qui l’accompagne à Paris. Il est lycéen à Louis-le-Grand en même temps qu’il est l’élève du sculpteur Antoine Étex et du peintre Ary Scheffer.

A 21 ans, il exécute pour Colmar sa première œuvre, la statue du général Rapp, soldat de la Révolution et de l’Empire.

Républicain convaincu, il sert sous les ordres du général Giuseppe Garibaldi en 1870 ; il est révolté par la perte de l'Alsace-Moselle. Sa première œuvre colossale est l’occasion d’exprimer son ressentiment : en 1875, il sculpte un monumental Lion en haut-relief, au pied de la falaise de la citadelle de Belfort, la patte vient d'arrêter une flèche. Belfort n’a pas capitulé bien qu’assiégée par les Prussiens, sous les ordres du colonel Denfert-Rochereau ; cette résistance vaudra au Territoire de Belfort d’être le seul morceau de l'Alsace à rester français.

Gallica.bnf.fr

Bartholdi avait eu précédemment d’autres projets plus imposants. Mais, c’est le lion de Belfort qui consacrera Bartholdi comme maître de la sculpture colossale 

En 1867, il avait imaginé un phare succédant au mythique phare d’Alexandrie, à l’entrée du tout nouveau canal de Suez, l’Egypte portant la lumière en Asie, incarné par une femme portant une énorme torche au bout de son bras levé. Ismaïl Pacha, après réflexion, refuse le projet qui va renaître dans une toute autre partie du monde...

Aquarelle de Bartholdi - wikipedia

 Deux hommes se retrouvent pour un même projet

En 1865, au cours d’un dîner mondain, Édouard Lefebvre de Laboulaye, écrivain, académicien, libéral plus que républicain, lecteur de Tocqueville et admirateur des Etats-Unis, expose son souhait de commémorer le centenaire de l’indépendance américaine en 1876 ; et il suggère que la France offre une œuvre prestigieuse aux Etats-Unis pour sceller l’amitié des deux peuples.

Lefebvre de Laboulaye – gallica.bnf.fr

En 1871, un autre admirateur de la jeune nation américaine, Auguste Bartholdi, effectue son premier voyage aux Etats-Unis, à la demande de Laboulaye. Il est enchanté par le site de la rade de New-York et repère une île, l’île de Bedloe, réceptacle idéal pour la projet qu’il a déjà en tête : un monument célébrant l’idéal républicain de la Liberté, exacerbé par la perte de son Alsace. "En face de l’océan et regardant la France".

1875, Lefebvre de Laboulaye, président du comité de l'union franco-américaine, présente le projet : « Il s'agit d’élever en souvenir du glorieux anniversaire, un monument exceptionnel. Au milieu de la rade de New York, sur un îlot qui appartient à l'Union des États, en face de Long Island (il s’agir en fait de Manhattan), où fut versé le premier sang pour l'indépendance, se dresserait une statue colossale, se dessinant sur l'espace, encadrée à l'horizon par les grandes cités américaines de New York, Jersey City et Brooklyn. Au seuil de ce vaste continent plein d'une vie nouvelle, où arrivent tous les navires de l'Univers, elle surgira du sein des flots, elle représentera : La Liberté éclairant le monde. La nuit, une auréole lumineuse partant de son front, rayonnera au loin sur la mer immense. »

Le comité lance une souscription de 600.000 francs. Sans attendre et persuadé du succès de l’entreprise, Bartholdi se met immédiatement au travail, libéré du Lion de Belfort.

La construction

Etant donné la taille de la statue projetée, près de 50 m de hauteur, le sculpteur opte pour le cuivre, plus léger que le bronze. Pour la réalisation, il choisit l’entreprise Gaget, Gauthier et Cie, 25, rue de Chazelle. Gaget est architecte, Gauthier ingénieur ; l’entreprise emploie plus de 300 personnes, travaille dans les domaines de la couverture, la plomberie, la distribution d’eau et la cuivrerie d’art. Bartholdi a peut-être choisi cette entreprise pour avoir restauré la colonne Vendôme après sa destruction pendant la Commune.

En prévision du gigantisme des travaux, l’entreprise loue la cour jouxtant les ateliers.

Pour le squelette de la dame, il fait appel à Viollet-le-Duc.


La conception de la statue est rapide ; Bartholdi s’inspire du défunt projet égyptien et y ajoute, dans la main gauche, la Constitution de 1776. Deux blocs : le bras et le flambeau d’une part, le haut du buste et la tête d’autre part.

Dès 1876, le bras est réalisé et présenté à l’exposition universelle de Philadelphie : « le grand bras est dressé et je dirai sans aucune modestie que c’est une belle pièce » (lettre de Bartholdi à sa mère) ; on peut monter dans le flambeau, moyennant un droit d’entrée, c’est autant de pris pour les caisses de la souscription. L’exposition terminée, le bras revient à Paris pour vérification et montage.

Philadelphie 1876 – Paris 1878 - wikipedia.fr

L’opération est rééditée en 1878, pour l’exposition à Paris avec, cette fois-ci, le buste martelé en cuivre et la tête, douze mètres de haut. Le public peut contempler le Champ-de-Mars à partir des ouvertures du diadème, prix d’entrée 5 centimes ; "La liberté n’a pas de cervelle ! ". Le modèle pour réaliser cette tête gigantesque faisait environ 1,50 m de haut, à partir duquel on pratiqua la « projection au carreau », ou plutôt au cube, puisque nous sommes en trois dimensions.

Le corps et son squelette

A partir du premier modèle au 1/16e, un découpage est fait en une sorte de puzzle de 300 pièces, chacune correspondant à une feuille de cuivre.

Pour chaque pièce, une structure en bois est recouverte de plâtre ; le plâtre est sculpté pour avoir la forme voulue ; on positionne un gabarit en bois épousant la surface du plâtre sur lequel la plaque va être martelée. Des feuilles plutôt que des plaques : elles n’ont qu’un à trois millimètres d’épaisseur.

Le squelette va connaître un sérieux contretemps : Viollet-le-Duc meurt le 17 septembre 1879.

Gustave Eiffel prend le relais : nouvelle génération, nouvelles techniques ; l’architecte du viaduc de Garabit ne pense que métal.

Eiffel, ou plutôt son ingénieur Maurice Koechlin, conçoit un mât central de 29 m, allégeant ainsi l’ensemble, gage d’une meilleure résistance aux vents violents et aux écarts de température importants à New-York, des principes repris bientôt pour la Tour Eiffel, n’est-ce pas, monsieur Koechlin. Les 300 feuilles sont fixées à l’aide de rivets en cuivre aplatis, par conséquent invisibles, une innovation.

Maurice Koechlin – wikipedia.fr – Squelette – gallica.bnf.fr

L’ouvrage emploie donc des menuisiers, charpentiers, gâcheurs de plâtre, sculpteurs, chaudronniers et forgerons.


C’est à partir de 1881 que l’armature s’élève dans la cour ; le montage et la vérification des plaques commencent début 1884. Pour les Parisiens, c’est le début du spectacle, une statue géante deux fois plus haute que les immeubles haussmanniens du quartier ! La plaine Monceau devient l’un des quartiers de promenade favoris.

Le montage dans la cour dure deux ans 8 mois.

The Scientific American 1884 - Paul Darbaud (musée du Carnavalet)

Il faut trouver d’autres moyens de financement

 Dès les premiers mois, Bartholdi ouvre les ateliers au public. Succès garanti. Commentaires de l’écrivain et critique Jules Clarétie : "La tête est achevée, le bras droit est fini ; à mi-corps La Liberté est sortie de terre et, l’été dernier, vingt-cinq convives ont pu tenir à l’aise et déjeuner dans son mollet droit. Le reste, le sein, les épaules, les draperies de la poitrine, est encore dans la forge mais le travail s’achève. Des doigts gigantesques, des index de près de deux mètres et demi, sont là, tout fondus, contre la muraille. On se croirait au pays de quelque féerie, dans l’usine où des nains fabriqueraient un géant de métal."

Victor Hugo lui-même honore le chantier de sa visite et repart avec un fragment du monument.

Gallica.bnf.fr

On vend aussi des miniatures de la statue.

Bartholdi ne néglige pas la publicité : il demande au photographe Marville de prendre des clichés au fur et à mesure de l’avancée des travaux pour les faire paraître dans la presse.

Les mécènes sont aussi américains et, là, il y a un petit problème à résoudre fin 1876 : Auguste n’est pas marié à sa compagne, une simple modiste mais de bonne famille alsacienne. Un ami américain, John LaFarge, le convainc de se marier pour ne pas choquer la bonne société à la morale « bostonienne ». Fin décembre 1876, John LaFarge fait venir chez lui un pasteur pour célébrer ce mariage improvisé.


Le montage complet pour vérification est terminé. Le 4 juillet 1884, date anniversaire de l’Indépendance américaine, Ferdinand de Lesseps, nouveau président de l’Union franco-américaine, signe l’acte de donation de La Liberté éclairant le monde au peuple américain.


C’est une dame de 200 tonnes, dont 120 de squelette, qui s’apprête à traverser l’Atlantique.

Remise de la statue à M. Morton, ambassadeur des Etats-Unis (H. Meyer, gallica.bnf.fr)

Voyage, socle et inauguration

350 pièces soigneusement étiquetées et emballées dans 200 caisses. Un premier transport jusqu’à Rouen puis, de là, la cargaison vogue pour l’Amérique à bord de la frégate L’Isère. Partie en compagnie de son « père » le 21 mai 1885, elle arrive en rade de New-York le 19 juin.

Il manque quelque chose : le socle n’est pas terminé, loin de là. Commencé début 1883, son édification est ralentie par la frilosité du Congrès à débloquer les fonds. Ce qui met en rogne le magnat de la presse Joseph Pulitzer : « Si la majestueuse figure pouvait parler, quelle histoire elle aurait à raconter sur la petitesse, la pingrerie et l’égoïsme antipatriotique de nos citoyens qui ont verrouillé leurs poches ».  Il utilise sa force de frappe éditoriale pour ameuter le pays et récolter les fonds manquants. Le piédestal est enfin terminé au printemps 1886.

Grover Cleveland (gallica.bnf.fr) & Joseph Pulitzer (wikipedia.fr)

Le jeudi 28 octobre 1886, c’est enfin l’inauguration : la foule est nombreuse, des défilés sont organisés dans les rues de la ville ainsi qu’une imposante parade navale ; des centaines de drapeaux français et américains s’entremêlent.

« Au lieu de tenir dans sa main les foudres qui portent la terreur et la mort, elle soutient le flambeau qui guide les hommes dans la voie de l’affranchissement », président Grover Cleveland.

Enfin, Auguste Bartholdi, membre de la loge parisienne Alsace-Lorraine, serre la main du Président Grover Cleveland, membre de la Grand Loge du Connecticut, rite écossais.

« Le rêve de mon existence est accompli » Bartholdi


Édouard Lefebvre de Laboulaye, l’initiateur du projet, n’aura pas le bonheur de voir son rêve réalisé ; il est mort en 1883.


Tournant sa tête vers la vieille Europe, c’est le premier visage du Nouveau Monde que verront des millions d’immigrants.

Hauteur totale : 93 m, dont 46,5 m pour la statue,  


Pour en savoir plus :

http://lafabriquedeparis.blogspot.com/2013/04/la-liberte-eclairant-la-rue-de-chazelles.html

La statue de la Liberté, (hors série découvertes Gallimard/CNAM)

Edward Berenson, la Statue de la Liberté-histoire d’une icône franco-américaine (ed. Armand Colin)