La première exposition des Impressionnistes (1874)
Le Père Tanguy
La première exposition des Impressionnistes (1874)
Le Café de la Nouvelle-Athènes
Repasseuse – Edgar Degas (1874)
Caillebotte au balcon
Victor Chocquet
La première exposition des Impressionnistes (1874)


Si la première exposition de ceux qu’on qualifiera d’impressionnistes (cf.20) suscite surtout l’ironie, la deuxième, organisée par le marchand Paul Durand-Ruel, déclenche les foudres de la critique

Paul Durand-Ruel est un marchand d’art avisé

Son père est un marchand de fournitures d'artistes qui, tout comme le Père Tanguy (cf.18), hérite des tableaux des peintres nécessiteux laissés en garantie.

Paul voulait être militaire mais une grave maladie l’en empêche ; il seconde son père et trouve ainsi sa vocation.

En 1865, Paul reprend les rênes de l’entreprise familiale, rue Le Peletier. Catholique légitimiste, il est fermement décidé à ignorer l’art officiel du Second Empire, ce qui l’amène à s’intéresser aux peintres de Barbizon et à acheter toute la production de Théodore Rousseau.

« Il nous fallait un réactionnaire pour défendre notre peinture, que les salonnards disaient révolutionnaire » dira Renoir, inégalable dans le sens de la formule.

Arrive la guerre de 1870, Durand-Ruel se réfugie à Londres où, par l’intermédiaire du peintre Daubigny, il rencontre un autre exilé, Claude Monet puis Pissarro. Le marchand reconnaît immédiatement le potentiel artistique et commercial de leur peinture ; deux ans plus tard, il rencontre Alfred Sisley puis Auguste Renoir.

Dès lors, il va tout mettre en œuvre pour faire connaître ces artistes novateurs en France et ailleurs, dans ses galeries de Londres et Bruxelles.

Il multiplie les expositions, la première à Londres en 1872 (qui passe inaperçue), prodigue des conseils pour adapter la production à l’évolution du marché, apporte son soutien financier, n’hésitant pas à lourdement s’endetter : il achète les 23 toiles de Manet qui sont dans l’atelier pour 35.000 francs. Manet se hâte alors d’aller chercher les toiles qui traînaient chez ses amis…


La vente à l’Hôtel Drouot de mars 1875

Durand-Ruel prend en charge la vente des nombreuses toiles qui n’avaient pas trouvé preneur lors de l’exposition de 1874 (cf.20), 73 œuvres.

« Oui, en 1875, quand j’organisais à l’Hôtel Drouot une première vente de tableaux de Monet et de Renoir, que j’avais par précaution présentés dans de superbes cadres. Là, pendant la vente, ce fut un beau chahut. Ah ! Comme nous fûmes tous bafoués, et principalement, bien entendu, Monet et Renoir ! Le public hurla, nous traita d’imbéciles et de gens sans pudeur. Des tableaux furent vendus cinquante francs, à cause des cadres»

« Si je n’avais pas été nourri dans le métier, je n’aurais pas pu soutenir la bataille que j’avais entreprise alors contre le goût du public. On me traitait de fou, d’halluciné. (…) C’est tout juste si l’on ne m’insultait pas publiquement »


Il fallait être courageux pour, malgré tout, organiser la deuxième exposition !


La deuxième exposition impressionniste

C’est rue Le Peletier qu’il organise cette fameuse deuxième exposition des impressionnistes du 30 mars au 30 avril 1876

Sont exposées 252 œuvres de 19 artistes dont :

Edgar Degas : Le Bureau de coton de la Nouvelle-Orléans, L’Absinthe (cf.22), Examen de danse, Repasseuses (cf.21)

Degas - Examen de danse, 1876, Metropolitan museum NYC


Claude Monet : Terrasses de Sainte-Adresse, La Pie, Le Pont d’Argenteuil, Les Bains de la Grenouillère

Monet - La Pie, 1869, musée d'Orsay


Gustave Caillebotte : Les Raboteurs de Parquet, Jeune homme à la fenêtre (cf.31)

Caillebotte - Les Raboteurs de parquet, 1875, musée d'Orsay


Alfred Sisley : Inondation à Port-Marly, Le Chemin des aqueducs

Sisley - Inondation à Port-Marly, 1876, musée d'Orsay


Berthe Morisot : Au bal, 1875, Musée Marmottan


Camille Pissarro : Ferme à Montfoucault, 1875, Musée d'art et d'histoire, Genève

Auguste Renoir : Etude, La Promenade et de nombreux portraits (Claude Monet, Victor Chocquet cf.23, …)

La Promenade, 1870, Getty Center, Los Angeles


La presse et les critiques se déchaînent

Une suite vertigineuse de chefs d’œuvres. Et pourtant : «  La rue le Peletier a eu du malheur. Après l’incendie de l’Opéra (la salle où Degas réalisa ses fameux tableaux), voici un nouveau désastre qui s’abat sur le quartier. On vient d’ouvrir chez Durand-Ruel une exposition »

« Cet amas de choses grossières qu’on expose en public sans songer aux conséquences fatales qu’elles peuvent entraîner. Hier, on a arrêté un pauvre homme qui, en sortant de cette exposition, mordait les passants ».

La France : « Leurs personnages ressemblent à des pensionnaires de la Morgue  »

Le Soir : « il y a, nous dit-on, rue Le Peletier, une maison de santé, sorte de succursale de la maison du docteur Blanche. On y reçoit principalement des peintres »

Le Pays : « la plupart de leurs toiles sont à faire cabrer les chevaux d’omnibus »

Alfred Wolff, dans le Figaro : « Un nouveau désastre. Cinq ou six aliénés, dont une femme, un groupe de malheureux atteints de la folie de l’ambition, s’y sont donné rendez-vous pour exposer leurs œuvres. (…) Ces soi-disant artistes s’intitulent les intransigeants, les impressionnistes ; ils prennent des toiles, de la couleur, des brosses, jettent au hasard quelques tons et risquent le tout. C’est ainsi qu’à Ville-Evrard (un asile d’aliénés), les esprits égarés ramassent des cailloux sur leur chemin et se figurent avoir trouvé des diamants. Effroyable spectacle de la vanité humaine s’égarant jusqu’à la démence, etc. »

Eugène Manet, frère d’Edouard et époux de Berthe Morisot, veut provoquer Wolff en duel mais Berthe et ses camarades le retiennent.

Comparés à ce déchaînement, les commentaires émis lors de l’exposition de 1874 (cf.20) paraissent insignifiants.


Après l’exposition

Durand-Ruel n’a rien à gagner à voir sa galerie qualifiée de maison d’aliénés et s’abstient de la mettre à disposition pour la 3ème exposition, qui se tiendra dans la même rue mais dans un appartement trouvé par Gustave Caillebotte ; ce sera la première où le mot impressionniste est adopté. Moins de remue-ménage mais c’est le même constat d’échec : 45 toiles sont vendues à Drouot pour 7610 francs !

Après ses tentatives courageuses, Durand-Ruel connaît des difficultés financières et frôle la faillite alors que la banque de l’Union générale qui le soutient tombe en faillite en 1882.

Sur les conseils de la peintre américaine Mary Cassatt, amie de Berthe Morisot qui participe à la quatrième exposition, il se tourne vers le marché américain en pleine expansion.

Une première exposition est organisée à New York en 1883 ; Paul Durand-Ruel est sauvé et les peintres impressionnistes vont commencer à sortir de la précarité.

À la fin de sa vie, Durand-Ruel écrit dans ses Mémoires : « Enfin les maîtres impressionnistes triomphaient comme avaient triomphé ceux de 1830. Ma folie avait été sagesse. Dire que si j'étais mort à soixante ans, je mourais criblé de dettes et insolvable, parmi des trésors méconnus… ».


Georges Clemenceau, grand ami de Claude Monet, dira de lui : « De quels tourments Durand-Ruel sauva Monet en lui permettant d'être et de demeurer lui-même à travers toutes les entreprises de médiocrités. Grâces lui soient rendues ! »

25 : Durand-Ruel et la deuxième exposition impressionniste (avril 1876)

11, rue Le Peletier

Paul Durand-Ruel par Marcellin Desboutin