La première exposition des Impressionnistes (1874)
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18 : Le Père Tanguy

14, rue Clauzel


Le tube de zinc

Jusqu'au XVIIIe siècle, les peintres ou leurs élèves broient eux-mêmes les pigments en poudre avec le liant, huile de lin, d'œillette ou de noix.

Dans les années 1840, à Barbizon ou Auvers-sur-Oise, Diaz de la Pena, Théodore Rousseau ou Camille Corot, sont obligés de transporter non seulement tabouret palette et chevalet mais tout un assortiment de pots et de solvants, des couleurs qu’ils avaient préparées eux-mêmes ou achetées dans le commerce.

Tout va changer avec l’invention d’un tube souple en feuille métallique, fermé à l’aide d’une pince - le peintre américain John Goffe Rand en est l’auteur -, une révolution chez les artistes peintres.

The History of the Paint Tube – loxleyarts.co


En 1859, la maison Lefranc commercialise le tube en France, avec une amélioration, le bouchon à pas de vis.

Peindre sur le motif est désormais bien plus simple et plus rapide. « Ce sont les couleurs en tube, facilement transportables, qui nous ont permis de peindre complètement sur nature » dit Renoir, vers la fin de sa vie.

Les fabricants ne se contentent pas de mettre la peinture en tube, ils offrent une gamme de couleurs plus large et, grâce à la chimie, les couleurs conservent un éclat dont n'auraient pu rêver les anciens.

Le Père Tanguy (1825-1894)

Parmi les marchands de couleur parisiens, l’un se distingue : Julien François Tanguy, chez qui viennent s’approvisionner Monet, Cézanne, Jongkind ou Sisley.

C’est un broyeur de couleurs de son métier et un ardent républicain. Communard, il est emprisonné à Versailles puis mis en détention sur un ponton de la rade de Brest avant d’être jugé par le 4eme Conseil de guerre de Versailles qui le condamne le 25 mai 1872 à un an de prison et deux ans de surveillance. S’il échappe à la déportation en Nouvelle Calédonie, c’est grâce à l’intervention de l’officier d’artillerie Henri Rouart, par ailleurs peintre amateur et qui se trouve avoir été en 1870 dans le même régiment que Degas.

Émile Bernard - Portrait du Père Tanguy, 1887, Kunstmuseum Bale


Ce petit homme trapu aux yeux bleus et à la barbe soignée s’installe dans une pièce minable 14, rue Clauzel où il vend des couleurs. Le père Tanguy n’est pas un simple commerçant pour les jeunes peintres méprisés par les officiels et les amateurs au « bon goût », ce socialiste compense l’échec de la Commune par sa bonté envers les peintres. Sa boutique est encombrée de toiles qui lui ont été données en paiement de fournitures. Cézanne lui laisse même les clés de son atelier quand il part pour Aix, au cas où un client demanderait un de ses tableaux ; il lui fait confiance au point de le laisser découper une toile si nécessaire. Il aime évoquer des temps meilleurs avec Pissarro, autre socialiste lecteur de Proudhon

C’est auprès de Vincent Van Gogh qu’il joue un rôle des plus influents, si bien qu’une tendre amitié va les lier. Il sera parmi les quelques fidèles qui accompagneront le peintre à sa dernière demeure : « Ah ! Le pauvre Vincent ! Quel malheur, Monsieur Mirbeau ! Quel grand malheur ! Un pareil génie ! Et si bon garçon ! »

Van Gogh l’a représenté devant un mur d’estampes japonaises avec, au dessus de sa tête, le Fujiyama, ; madame Tanguy avait la réputation d’avoir un tempérament volcanique…

Van Gogh - Portrait du Père Tanguy, 1887, Musée Rodin


A sa mort en 1894, son stock de toiles dont plusieurs Cézanne est vendu à l’hôtel Drouot ; cette vente est un échec.


Il demeure lié à l’histoire de l’art pendant un quart de siècle et quel destin pour un boutiquier qui mérite d’être appelé « père » ! « Eliminer le jus de chique et peindre épais avec les bonnes couleurs », voilà son credo


D’autres marchands de couleurs

Ils figurent parmi les premiers acheteurs de ces peintres méprisés par la bonne société, pas nécessairement parce qu’ils en avaient la vente, mais plus probablement pour les encourager à acheter chez eux leurs fournitures.

Ainsi, le père Martin, ancien maçon, qui avait pris l’habitude d’acheter des œuvres de Jongkind lorsque Pissarro, Monet, Sisley et Cézanne deviennent à leur tour ses clients.

Sa meilleure affaire, La Loge de Renoir cédé pour 500 francs à la vente aux enchères qui suit la première exposition de 1874 (cf.20).

 Renoir - La Loge, 1874, Courtauld Institue Art, Londres - Copie


Manet, lui, aimait acheter ses couleurs chez Hennequin, à côté de chez Guerbois (cf.09), la boutique a disparu en 2016.