19 - 5 septembre 1941 – L’exposition «Le Juif et la France»

Le Palais de Berlitz, 38, avenue de l’Opéra

Chapitres :

-L’Institut d’études des questions juives

-L’exposition

-A propos de Paul Rosenberg

-L’art, marché florissant à Paris


Ce n'est pas Vichy qui est à l’initiative de cette exposition à caractère «pédagogique et scientifique» qui se déroule du 5 septembre 1941 au 5 janvier 1942, mais une organisation privée, entièrement sous le contrôle de l’occupant, par le biais des subventions du service culturel de l’ambassade et du bureau de la Propagande allemande (Propagandastaffel), qui contrôle la presse et l’édition (cf. 09), et le chef de la section IV de la Gestapo, Theodor Dannecker. :

L’Institut d’études des questions juives

Cet «institut d’études» a été créé en mai 1941. A sa tête, Paul Sézille, propagandiste antisémite, compagnon de Pierre Darquier de Pellepoix (cf. 14), auquel succède en 1942, René Gérard, qualifié «d’antisémite hargneux». Cofondateur, Octave Bellet, partisan acharné de la collaboration, antisémite fanatique, acteur acharné à la spoliation des Juifs.

L’institut est installé dans un immeuble confisqué au galeriste Paul Rosenberg, 21, rue La Boétie (cf. plus bas).

Seule préoccupation des dirigeants de l’institut : produire et diffuser la propagande antisémite. Ils publient un mensuel, Le Cahier jaune, qui devient Revivre, «Le grand magazine illustré de la race» ! L’équipe éditoriale publiera en 1944 un recueil au titre non équivoque, Je vous hais, 500 brûlots antijuifs dont certains incitent même au meurtre !

À la fin de 1942, l'IEQJ sera absorbé par la direction de la propagande du Commissariat général aux questions juives (cf. 14).

Cet institut est idéal pour organiser l’exposition «Le Juif et la France», sous l’égide de la propagande nazie et de la Gestapo.

L’exposition

(bundesarchiv)


Les travaux du professeur d’anthropologie Georges Montandon sont l’ossature de l’exposition. Montandon est l'auteur de l’ouvrage Comment reconnaître le Juif ? et l'animateur de conférences antisémites, à l’une desquelles participe l’écrivain Ramon Fernandez (cf. 48).

Exposition «pédagogique» visant à «aider les Français à reconnaître les juifs par leurs caractéristiques physiques» et démontrer leur «emprise corruptrice générale» sur le pays.

Un parcours au milieu de photographies, de dessins, de maquettes et de statues qui égrènent tous les poncifs, clichés et stéréotypes nourrissant l’antisémitisme : le juif usurier et accapareur, le juif aux cheveux sales, au nez crochu et aux doigts griffus, l’allié du capitalisme anglo-saxon qui veut mettre la main sur la France. Un sommet dans la caricature, dépassant ce qui a été publié depuis l’affaire Dreyfus.

Descriptif de l’affiche par Alexandre Sumpf :

https://histoire-image.org/fr/etudes/exposition-juif-france-paris

René Peron, célèbre créateur d’affiches de cinéma, en est l’auteur.

« […] On remarque la typographie différenciée pour le mot «juif», dont les caractères en simili-hébraïque s’«opposent» au mot «France» écrit en lettres franches, pleines et massives. […] Le «juif» est ici une sorte de rabbin (habits et châle de prière, cheveux et barbe caractéristiques) qui enserre le globe terrestre comme pour se l’accaparer. Les traits de son visage sont assez modérément caricaturaux (*) (le nez, les yeux en amande) ; on remarque également son regard avide, fourbe et presque possédé. Il pose des mains crochues sur les pays d’Europe (et donc la France), recouvrant partiellement la planète des pans de sa robe. […] le «juif» est autre, différent, prédateur et dangereux».

Conclusion : le véritable ennemi est le juif et non l’Allemagne, il faut le chasser avec l’aide de l’Allemagne.

(*) : moins que ceux du dessin de Michel Jacquot (à droite)

Ce ne sont pas des représentants du gouvernement de Vichy qui inaugurent l’exposition mais deux dignitaires allemands, Carltheo Zeitschel, conseiller aux affaires juives de l’ambassade d’Allemagne et Theodor Dannecker.

A côté de cette tête aussi grande que caricaturale, une Marianne athlétique terrassant deux Juifs tout aussi caricaturaux (La France se libérant des Juifs), une araignée suçant le sang de la France

Montrer comment les Juifs corrompent
le monde de l’économie (Lévitan), de la finance, et, paradoxalement,
responsables de l’expansion du marxisme (Léon Blum) …

… et que de producteurs, réalisateurs et acteurs qui
ont envahi le monde du cinéma et de la culture en général.


Quant aux écrivains : «l’inversion sexuelle et la destruction de nos traditions sont les thèmes favoris des écrivains juifs»

On ne connaît pas le nombre exact de visiteurs, probablement autour de 200.000, preuve que l’exposition eut du succès. Succès de curiosité selon certains, le public s’étant détourné par la suite de l’opération de propagande.


A propos de Paul Rosenberg

L’immeuble où se sont installés les prosateurs de l’Institut d’études des questions juives a été confisqué à Paul Rosenberg ; c'est le fils d'Alexandre Rosenberg, marchand d'antiquités juif, établi à Paris depuis 1878, qui s’intéressa aux peintres impressionnistes. Paul et son frère Leonce ont pris la succession de leur père et ouvert chacun une galerie, au 21, rue de la Boétie pour Paul.

Les deux frères ont compris la portée du cubisme ; ils entrent en relation avec Picasso, Braque, Marie Laurencin, Fernand Léger, Matisse, etc. Dès 1920, la réputation de la galerie de Paul est faite ; le marchand noue des liens d’amitié et lance de nombreux artistes contemporains, français, européens ou américains, leur assurant une certaine sécurité contractuelle.

Paul Rosenberg sent le vent mauvais se renforcer à la fin des années trente et commence à déplacer sa collection en dehors de l'Europe continentale, en Grande Bretagne et aux USA ; il entrepose aussi 17 tableaux dans une cache à Libourne. Mais, en juin 1940, il reste encore plus de 2 000 pièces dans sa galerie parisienne.

Spoliations nazies

Alors que Paul et sa famille sont partis se réfugier à New York, son immeuble parisien est réquisitionné dès le 4 juillet 1940 ainsi que sa résidence près de Bordeaux, le 15 septembre ; sa la cachette des 17 tableaux sera découverte par les Allemands après dénonciation, le 28 avril 1941.

Ironie du sort, c’est un autre Rosenberg, Alfred, un des hommes forts du Reich et futur condamné à mort à Nuremberg, qui est chargé de la confiscation des œuvres d'art et des bibliothèques volées aux Juifs. Le résultat des rapines à Paris est regroupé dans la salle du Jeu de Paume à partir du 1er novembre 1940, archivé et photographié. Cette vaste opération de pillage alimente, d’une part, un marché de l’art parisien très actif, et d’autre part, des trains en partance pour Berlin.

(FranceArchives)

«Le train»

Le fils de Paul Rosenberg, Alexandre, dont le parrain est Picasso, s’est réfugié en Angleterre puis est devenu lieutenant dans les Forces françaises libres. En août 1944, il est à la tête d’un groupe qui intercepte, dans la nord de Paris, un train nazi en partance pour l’Allemagne. Les soldats ont la surprise de trouver dans les caisses 400 œuvres d’art de grande valeur, dont certaines appartenant à la famille d’Alexandre.

Une partie des œuvres volées à Paul Rosenberg n’a toujours pas été restituée.

Le film de John Frankenheimer, Le Train, est une transposition de cet épisode.

L’art, marché florissant à Paris

A compter de l’été 1941, la spoliation des biens juifs va entraîner une embellie du matché de l’art parisien. Les ventes aux enchères de l’hôtel Drouot et de la French Riviera sont euphoriques. Y compris pour ces oeuvres modernes que les nazis qualifient «d’art dégénéré», ou «judéo-bolchévique» en France.

Les salles des ventes sont combles, il ne manque que les marchands juifs, à qui l’on refuse l’entrée à partir du 17 juillet 1941.

On vend de tout : œuvres d’art, bijoux, meubles, vins millésimés. Les acheteurs ? les nantis, les protégés de l’establishment, les nouveaux enrichis par le marché noir, les officiels nazis et les marchands allemands avec leurs reichsmarks surcotés.

Au cours de l’année 1941-1942, près de 2 millions d’objets y sont vendus.

«Les belles ventes que les commissaires-priseurs font sous leurs marteaux d’ivoires ont, en toile de fond, l’extermination des Juifs de France» (Emmanuelle Polack)


https://histoire-image.org/fr/etudes/exposition-juif-france-paris

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Juif_et_la_France

Le train, film de John Frankenheimer, 1966

https://www.beauxarts.com/grand-format/le-marche-de-lart-sous-loccupation/