14 - 23 mars 1941 : le Commissariat aux questions juives
1, place des Petits Pères
Le Commissariat aux questions juives
dans l’ancien bâtiment de la banque Louis-Dreyfus, «aryanisé».
Chapitres :
-Vichy veut le contrôle de «l’aryanisation»
-Spoliations, chantages, vols, racket
Vichy veut le contrôle de «l’aryanisation»
«Prenez tout», telle était la directive de Goering, un pillage systématique de la France. Mais à l’automne 1940, les Allemands pensent qu’ils ont plutôt intérêt à faire des Français les exécutants de leur politique. C’est bien l’Allemagne qui initie la politique d’aryanisation économique et c’est par la création du Commissariat général aux questions juives que l’État Français se soumet au programme antijuif de l’État-Major allemand. Le premier statut des Juifs du 3 octobre 1940 répond à l’ordonnance allemande du 27 septembre.
Le point culminant est la loi d’aryanisation du 22 juillet 1941 qui ordonne la mise sous administration provisoire de tous les biens juifs non encore bloqués, étendant aux deux zones les procédures d’aryanisation ; c’est une initiative purement vichyssoise. Contrairement au reste des pays européens sous la botte nazie où les administrateurs provisoires des biens juifs sont des Allemands.
Le CGQJ est créé par l’amiral Darlan, chef du gouvernement après le renvoi de Laval, le 13 décembre 1941 (cf. 10) ; il entend ainsi rendre à la France l’initiative de la politique à l’égard des juifs, ou plutôt sous la pression de l’occupant avec l’accord de l’ambassadeur Otto Abetz, lors de leur entretien du 5 mars 1941. La création est effective par la loi de Vichy du 29 mars 1941. Ce commissariat est chargé de définir toutes les mesures législatives à l’encontre des Juifs et de les appliquer.
A la tête du CGQJ, Xavier Vallat, avocat, ex député nationaliste, avec le rang de sous-secrétaire d’Etat (cf. plus bas).
Le commissariat comprend deux services :
la Police des questions juives (PQJ), chargée de la répression des manquements au statut des juifs, une police qui peut procéder à des arrestations ; celle-ci prend le nom de Section d’enquêtes et de contrôle en juillet 1942.
et le plus important, la Direction de l’aryanisation économique (DAE), chargée de l’exécution des mesures économiques prises contre les Juifs.
Le bras actif de la DAE est le Service de contrôle des administrateurs provisoires (SCAP), l’élément essentiel pour la bonne marche des spoliations ; les administrateurs procèdent à la vente ou à la liquidation des entreprises et des avoirs juifs. A sa tête, un ancien gouverneur de la Banque de France, Pierre Eugène Fournier.
Xavier Vallat a obtenu, lors des longues négociations avec l’occupant, de pouvoir choisir des administrateurs provisoires français à la place d’éventuels «Treuhänder». Méfiants, les Allemands installent un petit service dans les locaux du CGQJ, chargé de vérifier la conformité des mesures de spoliation avec les lois en vigueur et qui valide chaque décision française concernant la nomination des Administrateurs, les autorisations de vente, etc.
Le processus d’aryanisation d’une entreprise est parfaitement illustré par le cas de Fanny Berger, ainsi que par le cas de monsieur Seligmann, évoqué par Simone Signoret (cf. 16).
Spoliations, chantages, vols, rackets
Le dépouillement de la communauté juive, rendue chaque jour plus fragile, n’est pas le fait du seul CGQJ Les juifs arrêtés par la Gestapo voient leurs biens confisqués systématiquement ; ils sont victimes des exactions des miliciens français, des fausses perquisitions de la Gestapo française (cf. 39) ou des fournisseurs des «bureaux d’achat» (cf. 02), de chantages à la dénonciation. Sans oublier les rafles : arrivés au camp de Drancy, les internés sont dessaisis de leurs biens qui sont consignés par le Caissier du camp, avant d’être bloqués sur des comptes nominaux à la Caisse des dépôts et consignations (ceux qui ne sont pas volés par les gardiens). Les objets sont déposés dans un coffre de la Banque de France, ceci tant que le camp est administré par les Français. En juin 1943, le camp passe sous le contrôle du SS Aloïs Brunner ; les objets sont alors tout simplement saisis.
La spoliation a pris toutes les formes, depuis la procédure à l’apparence juridique menée par le SCAP jusqu’aux fouilles corporelles avant le départ pour l’extermination.
On estime que plus de 70 000 appartements ont été vidés, dont 38 000 à Paris !
«Opération meuble» (rtbf.be)
Ce sont les œuvres d’art qui font l’objet de la recherche la plus acharnée, des trains entiers remplis pleins de tableaux et de statues partent pour l’Allemagne.
Les actions de Xavier Vallat
Objectif n° 1
Son objectif premier est de faire en sorte que le patrimoine spolié reste entre des mains françaises, en évitant «les abus, les profits illicites, etc» afin de ne pas alerter l’opinion publique ; c'est tout du moins le souhait de Pétain.
Préserver les joyaux de l’économie française avant tout. Les Allemands s’introduisent ou tentent de s’introduire dans le capital d’un quart des grandes entreprises ; une prise de contrôle qui n’est pas indispensable puisque l’essentiel de la grande industrie française travaille pour l’effort de guerre allemand. L’or et les devises relèvent du domaine du Devisenschutzkommando (installé dans les locaux confisqués à la banque Lazard), qui bloque tous les coffres ; les «bureaux d’achat» se chargent des matières premières grâce à une foule d’informateurs et d’intermédiaires (cf.02).
Vallat doit par ailleurs faire face à un «déchaînement de convoitises» : entrepreneurs allemands, ministères chargés de l’économie prêts à prendre leur part dans le processus d’aryanisation, la cupidité de certains administrateurs provisoires, etc.
Le C.G.Q.J. s'occupe de l'aryanisation économique, de l'élaboration de la législation anti-juive et de la surveillance de son application.
La législation anti-juive
Xavier Vallat organise le recensement des juifs, fonde l’UGIF (cf. 29) et rédige les statuts, sous le contrôle du service des affaires juives de la Gestapo, et ce, tout en étant en contact avec les ex-dirigeants des institutions juives. Des discussions qui durent des semaines car on imagine le peu d’enthousiasme des personnes concernées. Il faut noter que Vallat entretient de bons rapports avec Raymond-Raoul Lambert, directeur du Comité d’aide aux réfugiés et administrateur de l’UGIF (cf. 29).
Les lois et décrets coercitifs pleuvent après sa nomination : entre juin 1941 et juin 1942, aggravation du numerus clausus qui touchait déjà la fonction publique et l’enseignement ; il s’applique à la publicité, la banque, la finance, l’immobilier. Un quota est imposé à la quasi-totalité des «professions libérales, commerciales, industrielles ou artisanales», une limite à 2% imposée chez les hommes de loi, puis les médecins, pharmaciens et sages-femmes, les architectes, les dentistes (5 juin 1942).
De même s'agissant du nombre d’élèves juifs dans les établissements secondaires et les universités à partir du 21 juin 1941.
A partir du 6 juin 1942, les mondes du théâtre, du cinéma et de la musique sont fermés aux artistes juifs (sauf autorisation spéciale).
En mars 1943, il n’y a plus que 203 médecins juifs à Paris sur 5.500 ; les Allemands protestent car ils ne doivent être que 108.
Et puis la loi du 22 juillet 1941 sur l’aryanisation, «supprimer toute influence israélite dans l’économie nationale». Le commissaire général a toute latitude pour remplacer le propriétaire dune affaire ou propriété foncière juive par un administrateur, puis procéder à la vente à un non juif ou à la liquidation, une partie des fonds devant servir à aider les «israélites indigents» (qui deviennent de plus en nombreux à mesure que les biens juifs sont aryanisés… (cf. 29).
La «purge» du commissaire a été efficace. Le 16 juin 1941, Jean Guéhenno note dans son journal : «M. Xavier Vallat commente lui-même le nouveau décret qu’il vient de prendre contre les Juifs et qui institue contre eux les mesures les plus sévères. C’est le triomphe du style jésuite : «A ceux, écrit-il après avoir énuméré les moyens de la terreur, qui trouvent ces mesures insuffisamment radicales, nous répondons qu’il nous suffit qu’elles soient efficaces et que les effets de la justice sont plus durables que ceux de la persécution. A ceux, au contraire, dont le libéralisme s’effarouche de ce qu’ils considèrent comme une manifestation de sectarisme, nous répondrons que l’antisémitisme n’a jamais été suscité par autre chose que par l’insociabilité et l’inassimilation foncière du juif».
Que cela est bien dit. Le numerus clausus réduit à 3% le nombre des étudiants juifs admis dans les universités. Sans doute prendra-t-on soin de n’y admettre que les plus bêtes».
Vallat remplacé par Darquier de Pellepoix
Laval revient au pouvoir en mars 1942, en remplacement de Darlan. Deux mois plus tard, les Allemands exigent du nouveau chef du gouvernement qu’il démette le commissaire général de ses fonctions ; Dannecker, chef de la «question juive» à la Gestapo, se méfie de son chauvinisme et le juge trop modéré (il s’oppose au port de l’étoile jaune). Vallat avait osé dire à l’officier SS, «Je suis un plus vieil antisémite que vous ; je pourrais être votre père à cet égard».
Laval le remplace par Darquier de Pellepoix, faux noble, avocat véreux et antisémite fanatique (cf. plus bas). Son administration sombre alors dans le pillage, «les Allemands savent que Darquier satisfait ses gros besoins d’argent grâce à sa gestion particulière des biens juifs sous séquestre» (Robert Aron). Ne s’entendant ni avec son gouvernement, ni même avec les Allemands, Darquier démissionne en février, remplacé par Charles Mercier du Paty de Clam, fils de l’officier antidreyfusard, impliqué dans «l’Affaire».
Le CGQJ est officiellement fermé fin août 1944, ses biens sont mis sous séquestre et le séquestre confié au ministère des Finances.
Le parcours de Xavier Vallat
C'est un représentant de l’ultra droite : militant catholique, disciple de Maurras et proche de Léon Daudet, adhérent un temps des Croix de Feu du colonel de la Roque et avocat des chefs de la Cagoule, l’organisation d’extrême droite et clandestine.
Ce n’est pas un antisémite raciste comme son successeur ; il prône un antisémitisme d’Etat qu’il définit, lors d’un échange à Chambre des députés au moment du Front populaire de Léon Blum : «Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif». Puis argumente : «Je n'entends pas oublier l'amitié qui me lie à mes frères d'armes israélites. Mais pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu'un talmudiste subtil».
Il est d’abord ministre des Anciens combattants avant de prendre le poste de commissaire général aux questions juives.
Collaborateur jusqu’à la fin, il remplace au micro de Radio-Paris, pendant quelques semaines Philippe Henriot, après son assassinat (cf. 50).
Il est arrêté le 26 août 1944 à Vichy, incarcéré à Fresnes, jugé en 1947, condamné à dix ans d'emprisonnement et à l'indignité nationale à vie par la Haute Cour de justice. Une libération conditionnelle en 1949 qui se transforme en amnistie en 1954.
Et celui de Louis Darquier de Pellepoix
«Bon à rien» selon son père, aucune étude supérieure, licencié pour avoir spéculé avec les fonds de l'entreprise. Bohème, il se fait passer pour un descendant de l'astronome du XVIIIe siècle Antoine Darquier de Pellepoix, dont il s'attribue la particule et d'un autre homonyme dont il s'attribue le titre de baron. Il s’ensuit un début de carrière littéraire sans succès, vit de l'argent que lui envoie sa famille, épouse à Londres une actrice australienne, Londres qu’il finit par quitter en abandonnant sa fille en bas âge !
De retour en France, finie la vie de bohême et, bientôt le début d’une carrière de raciste et d’antisémite virulent ; il a quitté les Croix de Feu en 1935 parce que le colonel de la Rocque est un «dictateur à l’eau de rose» et fait 3 mois de prison en 1939 pour «excitation à la haine raciale» dans son journal La France enchaînée. Après la victoire du Front populaire en 1936, il crée son propre parti, le Rassemblement antijuif de France, s'éloigne du nationalisme maurrassien et penche du côté des thèses nazies. Au cours d'un meeting en 1937, il déclare : «nous devons résoudre de toute urgence le problème juif, soit par l'expulsion soit par le massacre». L’année d’après, il félicite Hitler, «Bravo Fritz !» pour les exactions anti-juives de la nuit de Cristal. Fin 1940, son mouvement s’appelle l’Union française pour la défense de la race !
Et celui de Louis Darquier de Pellepoix
«Bon à rien» selon son père, aucune étude supérieure, licencié pour avoir spéculé avec les fonds de l'entreprise. Bohème, il se fait passer pour un descendant de l'astronome du XVIIIe siècle Antoine Darquier de Pellepoix, dont il s'attribue la particule et d'un autre homonyme dont il s'attribue le titre de baron. Il s’ensuit un début de carrière littéraire sans succès, vit de l'argent que lui envoie sa famille, épouse à Londres une actrice australienne, Londres qu’il finit par quitter en abandonnant sa fille en bas âge !
De retour en France, finie la vie de bohême et, bientôt le début d’une carrière de raciste et d’antisémite virulent ; il a quitté les Croix de Feu en 1935 parce que le colonel de la Rocque est un «dictateur à l’eau de rose» et fait 3 mois de prison en 1939 pour «excitation à la haine raciale» dans son journal La France enchaînée. Après la victoire du Front populaire en 1936, il crée son propre parti, le Rassemblement antijuif de France, s'éloigne du nationalisme maurrassien et penche du côté des thèses nazies. Au cours d'un meeting en 1937, il déclare : «nous devons résoudre de toute urgence le problème juif, soit par l'expulsion soit par le massacre». L’année d’après, il félicite Hitler, «Bravo Fritz !» pour les exactions anti-juives de la nuit de Cristal. Fin 1940, son mouvement s’appelle l’Union française pour la défense de la race !