10 - 15 décembre 1940 – Les cendres de l’Aiglon aux Invalides
Eglise du Dôme des Invalides
Chapitres :
-Le renvoi de Laval le 13 décembre 1940
Le 22 juillet 1832, Napoléon François Joseph Charles Bonaparte, ex-roi de Rome, prince de Parme et duc de Reichstadt, meurt au palais de Schönbrunn, à Vienne, à l’âge de 21 ans, victime de la tuberculose ; son corps est descendu dans la crypte des Capucins, à Vienne.
Le 15 décembre 1840, revenue de Sainte-Hélène à bord de la Belle-Poule, la dépouille de Napoléon Ier est transportée du pont de Neuilly aux Invalides par -10 degrés et une foule «prodigieuse» : c'est le «retour des cendres».
Otto Abetz, l’ambassadeur du Reich en France souffle à Hitler l’idée de profiter du 15 décembre 1940, centenaire de l’événement, pour rapatrier à leur tour les «cendres» de son fils, l’Aiglon. Une bonne opération publicitaire et sans conséquence, susceptible d’améliorer l’image du Führer, pensent-ils.
La cérémonie
Elle se déroule dans la nuit du 14 au 15 décembre, dans une atmosphère aussi glaciale qu’un siècle auparavant. Pas de foule immense mais une assistance triée sur le volet pour cette cérémonie franco-allemande, en présence de l’amiral Darlan représentant le gouvernement de Vichy et Otto Abetz. A 21 heures, le sarcophage de bronze renfermant les « cendres » arrive en gare de l’Est. Une garde d’honneur allemande est en place sur le quai. Vingt-quatre hommes sortent le sarcophage de huit cents kilos et le déposent sur une prolonge d’artillerie, ensuite attelée à une autochenille. De la gare aux Invalides, le cortège d’autos blindées et de voitures officielles défile à partir de minuit dans des rues rendues désertes par le couvre-feu. Aux Invalides, quelques dizaines de personnalités françaises et deux haies de gardes républicains portant des torches. Vers 1 h 30, le convoi pénètre sur l'esplanade ; des soldats allemands transfèrent le cercueil et le déposent sur des tréteaux. Quelques propos confus, qu’on aurait voulus solennels, sont échangés entre officiels allemands et français …
Goguenards, les Parisiens murmuraient : «Ils nous prennent le charbon et ils nous rendent les cendres !».
(retronews.fr)
La colère d’Otto Abetz
Une fois la cérémonie finie, l’ambassadeur n’a qu’une hâte, filer vers Vichy, accompagné de soldats en armes. Il est furieux : le maréchal Pétain, attendu pour recevoir formellement les cendres, n’est pas venu et s’est contenté de se faire représenter par l’amiral Darlan. Pétain marque ainsi son refus de devoir installer son gouvernement à Versailles, l'une des décisions prises à Montoire. Mais la raison principale de sa fureur est l’éviction l’avant-veille de son protégé, Laval ; celui-ci a été emmené à Chateldon, sa ville natale, où il est en résidence surveillée.
Retronews.fr
Le 16 décembre 1940, Abetz, accompagné de soldats, brandit un pistolet devant l’Hôtel du Parc, lance un ultimatum exigeant la constitution d’un gouvernement acceptable par l’Allemagne et ramène Laval à Paris ; la ligne de démarcation est fermée, même aux officiers français.
Le renvoi de Laval le 13 décembre 1940
L’autre motif de la colère d’Otto Abetz
(retronews.fr)
L’entrevue de Montoire le 24 octobre 1940, sur la ligne de démarcation, entre Hitler et Pétain, avait été ressentie par l’opinion publique comme la main-mise allemande à peu près totale sur le gouvernement de Vichy, sentiment confirmé par cette phrase que le chef de l’Etat prononça ensuite dans un discours radiodiffusé : «j’entre dans la voie de la collaboration». La popularité de Pétain vacillait. Il faut considérer le renvoi du ministre Laval comme une manœuvre avant tout populiste ; ce dernier avait été l’artisan, côté français, de l’entrevue du 24 octobre. Le maréchal donnait ainsi l’image d’une certaine opposition à la collaboration qui donna naissance au mythe du «double jeu» du chef de l’Etat. Une dernière cause du renvoi est l’antagonisme de style entre le maréchal et son chef de gouvernement.
Journal de Jean Guéhenno :
15 décembre 1940 : Hier soir, vers 9h30, je prends Vichy à la radio, tout juste à l’instant où le Maréchal Pétain achevait de lire un nouveau message aux Français. J’enrageais. J’en avais pourtant assez entendu pour comprendre que M. Flandin remplaçait M. Laval au ministère des Affaires étrangères, et que M. Laval n’était plus «dauphin». Le Maréchal assurait d’ailleurs la France … et M. Hitler qu’il n’avait dû se séparer de M. Laval que pour des raisons de «politique intérieure», que la politique étrangère de la France ne serait de ce fait modifiée. [..] Ce matin, je me précipite chez le marchand de journaux. Ils ne sont pas arrivés. Leur composition cette nuit, sous le contrôle allemand, a dû être laborieuse. Ils arrivent enfin avec deux grandes heures de retard. Pas un mot de Laval, pas trace du message du Maréchal. Mais une grande nouvelle, une nouvelle inouïe qui doit faire bondir le cœur de tous les Français : les cendres du duc de Reichstadt sont ramenées de Schönbrunn à Paris. [..] Hilarant ! [..] L’ambassadeur Abetz, dans son discours, a pris soin de déclarer : «C’est M. Laval qui a créé l’atmosphère de collaboration et c’est lui qui, pour nous, est le seul garant». Paroles chargées de la foudre. [..] A 1h30, j’espère que la radio de Vichy du moins complètera ces informations d’hier soir. Mais rien. Elle n’en souffle pas mot. Il est clair qu’après son coup d’éclat, le Maréchal a un peu peur. Il parle de nouveau. Mais ce n’est que pour adresser un message aux seuls Parisiens à propos du duc de Reichstadt … et pour remercier de nouveau M. Hitler …
L’ambassadeur Otto Abetz
Un francophile : il est entré en contact avec des jeunes Français dès 1927, séjourne régulièrement à Paris et organise le premier congrès franco-allemand en 1930, noue des liens d’amitié avec Fernand de Brinon (photo), futur ministre de Vichy (avant d’être condamné à mort et exécuté en 1947), Betrand de Jouvenel, Drieu la Rochelle ou Jean Luchaire (cf. 12), dont la secrétaire, Suzanne de Bruyker, deviendra sa femme.
Alors démocrate et de gauche, il crée le Cercle de Sohlberg, où il cotoiera Pierre Brossolette (cf.06), qui le considéra comme un «curieux allemand». Il est cependant déjà sensible aux sirènes nazies, il adhère au NSDAP en 1931, entre au bureau de Baldur von Scirach puis celui de Ribbentrop, avec pour mission le rapprochement franco-allemand, avec des méthodes qui lui valent d’être expulsé de France en 1939 pour faits d’espionnage.
Il est nommé ambassadeur de France le 13 juin 1940 : ses missions dépassent celles d’un diplomate ordinaire. S’assurer du bon rendement de la «collaboration économique», c’est-à-dire le pillage des richesses de la France, ainsi que de la sécurité et de la propagande. Hitler lui a donné pour mission de faire en sorte que «la France reste faible» ; Abetz fait donc en sorte qu’aucun parti collaborationniste ne devienne emblématique ; il se méfie du PPF, de son chef, Jacques Doriot, et de ses talents de tribun (cf.11).
Diplomate habile, sachant être modéré, il échouera pourtant à faire revenir Pétain et Laval à Paris après la fin de la zone libre en novembre 1942.
Il quitte son poste en juillet 1944, embarque pour Sigmaringen avec Pétain. Il est arrêté par les forces françaises d’occupation en pays de Bade, où il se cachait sous un faux nom, en octobre 1945. Il est condamné à vingt ans de travaux forcés en 1949, grâcié en 1954 ; lui et sa femme trouvent la mort dans un accident de la route en 1958.
Pétain, Abetz et Laval