21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
40 - 28 octobre 1943 : Hélène Berr discute avec une femme et ça lui fait mal
03 - Août 1940 – Picasso s’installe aux Grands-Augustins
24 - 15 mai 1942 : Jean Cocteau à l’exposition Arno Breker

21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry
21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry

21 - 15 octobre 1941 – Ernst Jünger déjeune chez Sacha Guitry

            18, avenue Elisée Reclus

L’hôtel de Sacha Guitry du temps de son père, Lucien


Chapitres :

            Portrait

            Théâtre et cinéma

            Pas résistant, bien sûr, mais …

            Extraits du journal d’Ernst Jünger

            L’arrestation de Sacha Guitry

            L’arrestation de Tristan Bernard


Portrait

Sacha Guitry a 55 ans au moment de l’armistice ; il est en traitement à Dax et souhaite remonter à Paris. Reconnu par un officier allemand, il peut facilement disposer d’un laisser-passer et d’un bon pour 100 litres d’essence renouvelable. Voilà comment l’écrivain et cinéaste va traverser l’Occupation, profitant de facilités qui lui sont offertes par sa notoriété et sans qu’il les ait obligatoirement sollicitées mais qu’il ne refuse pas. Guitry continuera de vivre, souvent avec désinvolture, dans un monde déconnecté des dures réalités.

Guitry dans son bureau en 1942 par Léon Gard


Pétainiste mais pas pro-allemand

Guitry était farouchement anti-allemand durant la Première Guerre mondiale et il fut interdit que ses pièces soient représentées outre-Rhin après l’armistice.

Il est un patriote, favorable à Pétain, mais «dépourvu de tout sens politique et de vertu guerrière», selon ses propres dires. Son credo :faire en sorte que la France garde son âme en restant une terre d’expression artistique.

Le théâtre

Son ambition, dès son retour à Paris, est de reprendre ses activités, de faire rouvrir les théâtres. Dans le souci de rappeler le génie français, il fait reprendre dans son théâtre de la Madeleine sa pièce, Pasteur, créée en 1919. Certaines tirades jugées trop nationalistes lui valent des menaces de censure de la part des autorités allemandes.

Dans le même esprit, il monte une comédie pour son théâtre, Le Soir d’Austerlitz. La pièce sera jouée, mais sous un autre titre, Vive l’Empereur, imposé par la censure ; une pièce qui sera jouée ensuite à Vichy devant Pétain.

N’écoutez pas, mesdames ! (1942) est devenu un classique.

Il est sollicité par la Comédie française et son administrateur, Jean-Louis Vaudoyer (cf. 40) pour des mises en scène ou des manifestations exceptionnelles – dont une matinée «au profit des œuvres sociales de la préfecture de police». En mai 1943, il assure la mise en scène de Courteline au travail. Madame Courteline n’était pas riche et elle était juive ; les Allemands percevaient 75% sur le montant de ses droits en tant que veuve de l’auteur. Pour tourner cette loi, la Comédie a monté ce spectacle ; sur les droits de Guitry il n’y avait pas d’abattement et c’était Mme Courteline qui les touchait.

Guitry reprendra aussi le rôle de Tartufe dans la maison de Molière, lors d’une représentation le 18 décembre 1943.


Le cinéma

                                           «Donne-moi tes yeux»

En 1941, Sacha Guitry met en scène Le Destin fabuleux de Désirée Clary (le premier amour de Napoléon) puis une bluette mélodramatique en 1943, Donne-moi tes yeux, suivie la même année d’une biographie de la Malibran. Autre curiosité l’année suivante :

«De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain» !

Film documentaire, 58 minutes de plans fixes sur son livre éponyme, un ouvrage de 394 pages richement illustrées, aujourd’hui totalement oublié, «un véritable monument à la gloire de la France… Un cri de foi, d’amour et d’espérance, et l’on ne saurait lui attribuer sans mentir une signification politique» selon Sacha lui-même. Y sont passés en revue, «l’Amour sacré de la Patrie», La Marseillaise, Lavoisier, Talleyrand… un parallèle audacieux y est fait entre Jeanne d’Arc quittant Domremy pour sauver la France et Pétain sortant de sa retraite pour faire «à la France le don de sa personne». On y trouve aussi un fac-similé de «J’accuse… !» et une évocation de plusieurs personnalités d’origine juive, Bergson, la tragédienne Rachel, le compositeur Paul Dukas, Sarah Bernhardt ou Camille Pissarro.

Une apologie de l’esprit français, un acte de résistance que n’a pas inquiété la Propagandastaffel. D’autant plus que Guitry présentera lui-même son livre à Pétain le 5 octobre 1943, avant une série de conférences que la presse vichyssoise relate de la façon suivante : «c’est dans le présent de l’Europe que la France doit inscrire son activité, confiante dans son destin».

Détail assez cocasse, il présente son œuvre lors d’un gala à l’Opéra le 23 juin 1944 ; «De Jeanne d’Arc à Pétain», dix-sept jours après le débarquement anglo-américain…

Pas résistant, bien sûr, mais …

Il joue de son influence pour obtenir la libération de personnalités juives, notamment celle de l'écrivain Tristan Bernard (et de son épouse), libéré le 21 octobre 1943 grâce à son intervention ainsi que celle de l'actrice Arletty (cf. plus bas).

Il tentera la même démarche pour Max Jacob et sa sœur, auprès de ses relations haut placées, mais sans résultats (cf. 03) ; la sœur de Max sera déportée en janvier 1944, et gazée.

Il écrit en août 1941, une «lettre d’attestation et d’appréciation des services» au comédien français René Alexandre (qui fut Napoléon), une lettre qui lui permet d’être exempté des interdictions prévues au statut des juifs.

D’autres artistes juifs et non juifs, incarcérés ou prisonniers de guerre, sont libérés grâce à ses interventions.

Sa pièce, Mon auguste grand-père ou La Preuve par sept, satire des lois raciales fut interdite, et Pasteur faillit l’être, à cause de ses accents nationalistes.


Déconnecté

Geneviève Guitry, sa dernière épouse, dit de lui qu’il «avait un fond d’ingénuité, une confiance quelquefois excessive, qui l'amenaient à porter des jugements téméraires sur les gens qui gravitaient autour de lui. Dans cette période, il ne fut pas bon psychologue, ni suffisamment objectif» ; Dominique  Desanti, sa biographe, le juge à la fois patriote, désinvolte et déconnecté de la réalité.

Comme si «préserver les succès et le luxe de Guitry était nécessaire à la survie de la France», alors que rationnement, pénurie d’essence et de charbon, marché noir règnent à l’extérieur de l’hôtel avenue Elysée-Reclus, sans parler des arrestations, des rafles et des exécutions d’otages.

Ses relations avec les hauts gradés du Reich en font l’une des cibles de Radio Londres et des journaux de la Résistance, l’un d’entre eux le condamnant à mort. Voici le compte-rendu de l’une des réceptions organisées avenue Elysée-Reclus, avec le général Speidel, chef d’état-major du commandant en chef des armées en France, comme convive.

Les Lettres françaises, 1er avril 1944 (retronews.fr)


Extraits du Journal d’Ernst Jünger

15 octobre 1941, déjeuné avec Speidel, chez Sacha Guitry, avenue Elysée-Reclus. Devant la maison, un terrain appartenant à la ville, se dresse le buste de son père, le comédien Lucien Guitry ; dans le jardin, un torse de femme, œuvre de Rodin, soulevé d’un tourbillon d’allégresse. Sacha Guitry se fait le guide de son «musée» : lettres d’Octave Mirbeau, de Léon Bloy, de Debussy, autographes qu’il offre à Jünger pour sa collection. Il montre la dédicace d’un ouvrage de Bergson : «A Sacha Guitry, un admirateur», en insistant sur l’extrême délicatesse du «un», le coffre de voyage de Molière, Napoléon et les maréchaux en figurines d’étain, etc. Sa chambre : au-dessus du lit, le mur est percé d’une ouverture semblable à celle par laquelle on tend les plats de la cuisine à la salle à manger. Cet orifice mène au lit de son épouse – «Mais un peu étroit pour vous, Maître», remarque l’un des invités. «Il faut payer l’honneur d’être Mme Guitry», réplique aussitôt la svelte maîtresse de maison. 

Arrive en retard une camarade de théâtre : «La plus belle femme de Paris – il y a vingt ans», me chuchote Guitry, avant de lui présenter ses hommages.

A table, la salade était présentée dans un saladier d’argent, la glace dans un service d’or massif qui avait appartenu à Sarah Bernhardt. De nouveau, j’ai été étonné par cette individualité débordante qui s’épanouissait surtout dans le récit d’anecdotes où ses rencontres avec des rois jouaient un rôle insigne. Les diverses personnes dont il était question se trouvaient aussi dépeintes par la mimique qui soulignait les paroles. Excellente également, au point de vue théâtral, la façon dont il maniait ses épaisses lunettes d’écaille au cours de la conversation. Il semble évident qu’avec de pareils dons, dans un ménage, c’est l’époux qui dépense toute la réserve de personnalité.

Une semaine avant, 8 octobre 1941 : A midi avec Speidel, chez l’ambassadeur de Brinon, au coin de la rue Rude et de l’avenue Foch. Le petit palais où il nous a reçus appartiendrait à sa femme qui est juive, ce qui, à table, ne l’a pas empêché de se moquer des «Youpins». J’ai fait la connaissance, là, de Sacha Guitry, que j’ai trouvé agréable, bien que, chez lui, l’acteur excède de beaucoup le poète. Il possède une exubérante personnalité, telle que je me figure celle de son père. A son petit doigt étincelle une énorme bague à cachet, avec un grand S.G. gravé dans l’or du chaton […] Assis à côté de l’actrice Arletty, que l’on peut justement voir en ce moment dans le film Madame Sans Gêne. Pour la faire rire, il suffit du mot «cocu» […] Un doigt de Pouilly, bourgogne, champagne. A l’occasion de ce déjeuner, une vingtaine de policiers avaient été postés aux alentours.

L’arrestation

Le 23 août 1944 à 10 heures du matin, Sacha Guitry est arrêté à son domicile par deux hommes armés du Comité parisien de Libération. On ne lui laisse pas le temps de s'habiller et on l'entraîne dehors. «Pour un spectacle, c'est un spectacle !» : «Mon pyjama se compose d'un pantalon jaune citron et d'une chemise à larges fleurs multicolores. Je suis coiffé d'un panama exorbitant, et quant à mes pieds, qui sont nus, ils sont chaussés de mules de crocodile vert jade»

Il est conduit à la mairie du VIIe arrondissement où il est brièvement interrogé. Motif de son interpellation, intelligence avec l’ennemi. En arrière-plan, c’est le procès de la «collaboration mondaine» dont on voudrait faire le procès.

Mis en dépôt au Vél’ d’Hiv’, puis à Drancy avant que ses avocats ne le fassent transférer à la prison de la Santé. Il passe en tout deux mois emprisonné. En prison, il reçoit à la fois insultes, menaces et demandes d’autographes.

Tristan Bernard intercède à son tour en sa faveur. Faute de preuves tangibles d’intelligence, il est libéré le 24 octobre 1944.

Le 8 août 1947, l’instruction se termine par un non-lieu, mais la suspicion de certains le poursuivra longtemps.

Son commentaire sur l’épisode : « D'ordinaire, quand un crime est commis, on précise le crime, puis on recherche le coupable présumé, on l'interroge, on l'inculpe, on l'arrête. J'ai d'abord été arrêté, puis inculpé, puis interrogé, puis on a recherché le crime que j'avais pu commettre et on m'a relâché. »

Quelques bons mots de Guitry durant cette période :

Sollicité pour organiser le Triomphe d’Antoine, le 10 mai 1941. «À la demande de la direction nouvelle du Théâtre Antoine, je compose un spectacle et je le présente, non sans grâce – j’entends par là gracieusement».

A la Comédie française, à propos du Soulier de satin, pièce qui dure plus de quatre heures : «Heureusement qu’il n’y avait pas la paire»

A propos des statues d’Arno Breker (cf. 24) : «Si les statues entraient en érection, on ne pourrait plus circuler» 

A propos de son arrestation : «La Libération ? Je peux dire que j'en ai été le premier prévenu»

A propos de son inculpation «d’intelligence avec l’ennemi» : «Je crois, en effet, n'en avoir pas manqué».

L’arrestation de Tristan Bernard

Tristan Bernard, menacé comme Juif, se réfugie à Cannes. À son ami Carlo Rim qui le presse de venir se cacher chez lui la nuit, il répond : «A mon âge, on ne découche plus !».

Lui et sa femme sont arrêtés sur la Croisette par la Gestapo en septembre 1943 alors qu'il venait d'acheter les billets de train pour aller se cacher chez Roland Dorgelès, ; une arrestation violente, l’écrivain a la tête en sang. Il est interné au camp de Drancy ; il dit à sa femme  «Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse, désormais, nous vivrons dans l'espoir».

Il est libéré le 21 octobre 1943. Il avait refusé une première fois sa libération, ne voulant pas laisser sa femme, Mamita. Sacha Guitry, qui est venu le chercher à sa sortie du camp, lui propose son cache-col, pour préserver le septuagénaire du froid, lequel lui répond : «Il me faudrait plutôt un cache-nez».

Son petit-fils François-René est arrêté comme résistant et déporté à Mauthausen où il meurt ; Tristan Bernard ne s’en remettra jamais.

Curieux devant l’hôtel des Guitry (moicani)


Pour en savoir plus :

Sacha Guitry, Soixante jours de prison et qui succède à Quatre ans d'occupations, 1947.

Dominique Desanti, Sacha Guitry, cinquante ans de spectacle, Grasset, 1982

Dominique Desanti, Sacha Guitry, itinéraire d'un joueur, entretiens avec Karin Müller, Arléa, 2008

Sur l’arrestation et le procès :

http://lagedorducinemafrancais.blogspot.com/2013/01/sacha-guitry-et-lepuration-le-jugement.html