32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
20 - 30 septembre 1941 – Maurice Chevalier crée «La Chanson du Maçon»
02 - Juillet 1940, Hôtel Lutetia : création du Bureau « Otto »
42 - 28 décembre 1943 – Joanovici a-t-il participé au traquenard de la brasserie Zimmer ?
02 - Juillet 1940, Hôtel Lutetia : création du Bureau « Otto »
39 - 20 juillet 1943 – arrestation de Geneviève de Gaulle par l’ex inspecteur Bonny




32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two
32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two

32 - Novembre 1942 : Michel Simon rencontre Alfred Greven au One-Two-Two

            122, rue de Provence


Chapitres :

            Le « One » pendant l’Occupation

            Sphinx, Chabanais et « One », contre-exemples des bordels selon Berlin

            Extraits des journaux d’Ernst Jünger et Jean Guehenno

            Et Michel Simon ?

            One-Two-Two, suite et fin


Alfred Greven est le patron de la Continental-Films, la société que les Allemands ont mise en place pour produire des films français. Cette production était surveillée de près par les services de Joseph Goebbels mais elle permit la sortie de films de qualité tels que L'assassinat du père Noël de Christian-Jaque et, surtout, Le Corbeau de Clouzot. La Continental a produit 26 des 220 films sortis sous l’Occupation.

Greven a un problème, il est à la recherche d’une tête d’affiche pour ses prochaines productions : Raimu est dans le Midi, Jouvet en (longue) tournée avec sa troupe en Amérique du Sud et Jean Gabin aux Etats-Unis. Il sollicite Michel Simon, d’abord réticent. L’acteur est endetté et finit par accepter mais à la condition de ne signer que pour un seul film et que ladite signature se fasse au One-Two-Two. Il s'agit de l’une des trois maisons closes les plus célèbres de Paris avec son voisin, le Chabanais, et le Sphinx près de la gare Montparnasse ; Michel Simon est un familier des lieux. C’est sans enthousiasme que l’acteur tournera Au bonheur des dames sous la direction d’André Cayatte, aux côtés de Blanchette Brunoy, Suzy Prim, Albert Préjean et Jean Tissier.

Suzy Prim et Michel Simon dans Au Bonheur des Dames


Le One-Two-Two

Marcel Jamet, fils d’une alcoolique et d’un paralytique, a été des années durant « julot » d’une fille nommée Fraisette avec qui il part en Argentine. Les affaires y ont été suffisamment lucratives pour qu’il puisse acquérir un hôtel de passe avant de s’offrir le « One ». Légalement, un homme ne peut être tenancier d’un tel établissement ; c’est donc Doriane, Fernande de son vrai prénom, sa femme qu’il a rencontrée au Chabanais qui est la propriétaire en droit. De lucratives, les affaires deviennent florissantes ; Marcel fait surélever le 122 de quatre étages en 1934.

Sphinx, Chabanais et «One», contre-exemples des bordels selon Berlin

Doriane et Marcel Jamet


A la veille de l’entrée en guerre, Doriane prend le large avec un diplomate albanais. Marcel doit trouver une nouvelle patronne, ce sera Fabienne. Georgette - son prénom de baptême - est née en 1910 ; c’est la fille d’une concierge parisienne et d’un inspecteur de la Brigade des mœurs, volage et corrompu qui "avait sauté toutes les filles du quartier Saint-Lazare" avant de finir sa carrière comme caviste au One-Two-Two.P

Fabienne tapine dès l’âge de 17 ans avant de se faire «entôler» dans différentes maisons de Paris et Marseille. Elle entre au 122 en 1931 où elle devient gouvernante en 1935, ce qui la dispense de monter avec  les clients. Quatre ans plus tard, elle est la « daronne » avant de remplacer Doriane dans le cœur de Marcel.

Ils se marient en 1942 : cinquante couverts, 176 bouteilles de champagne et 34 magnum ! Des chiffres qui  donnent à eux seuls une idée du standing de l’établissement. 

Le Tout-Paris s’y retrouve : l’aristocratie à l’image d’un Melchior de Polignac ; le monde des affaires dont Hennessy ; les vedettes des variétés et du cinéma : Maurice Chevalier, Fernandel ; les stars d’Hollywood : Cary Grant, Humphrey Bogart, Eric von Stroheim, Charlie Chaplin ; des écrivains tels que Francis Carco ou Aragon entraîné ici par Drieu la Rochelle pour son dépucelage ; sans oublier les têtes couronnées tels Léopold de Belgique et le maharadjah de Kapurthala ; certains membres du clergé et certains escrocs de haute volée comme Stavisky.

Les femmes y sont acceptées, à condition d’être accompagnées par un homme ; on y retrouve Marlène Dietrich, Mistinguett, Katharine Hepburn.

Contrairement à la règle de la plupart des maisons closes, les «prestatrices» vivent à l’extérieur et ont un jour de congé par semaine. Elles arrivent à midi, alors que les clients ne sont acceptés qu’à 14 heures, et sont présentes jusqu’à cinq heures du matin. L’effectif est d’une soixantaine de filles et d’une quarantaine d’employées de service.

Le réfectoire


La maison est réputée pour le raffinement des chambres. Quelques exemples : Le Drap d’Or avec ses drapés du sol au plafond, lIgloo avec peaux d’ours et bois de rennes, la Chambre P.L.M., ambiance wagon-lit, la Chambre des Foins, la Chambre des Glaces, sans oublier la Chambre des Supplices avec bracelets d’acier...

La chambre transatlantique


Le «One» pendant l’Occupation

Mai 1940, Marcel et Fabienne quittent Paris avec proches, champagne et foie gras avant d’être rapidement rattrapés par les avant-gardes allemandes. A Paris, le One est dans un premier temps fréquenté par la troupe.

Fabienne souhaite que le One-Two-Two retrouve son lustre d’antan et ; elle se rend à la Kommandantur, place de l’Opéra. Elle obtient que la maison soit fréquentée par les officiers et, contrairement aux directives de Berlin, elle restera ouverte aux Français – Juifs y compris dans un premier temps - aussi bien qu’aux Allemands (cf. plus bas) ; les prix des prestations seront naturellement adaptés entre officiers et subalternes. On retrouve des habitués parmi la clientèle :

Sacha Guitry - «vous êtes les plus belles fleurs d’un jardin merveilleux» dit-il aux pensionnaires,

Mistinguett,

Suzy Solidor (cf. 20), interprète de l’adaptation française de Lili Marlène et dont le cabaret, La Vie Parisienne, est fréquenté par de nombreux officiers allemands,

Tino Rossi qui, selon Fabienne, refuse de chanter à la déception des filles mais, le 16 décembre 1943, il entonnera l’Ave Maria pour le parrain marseillais et collabo notoire, Venture Carbone, mortellement blessé dans un déraillement de train, action de la Résistance.

Maurice Chevalier, Fernandel, ou encore Edith Piaf, qui, elle, se fend souvent d’une chanson pour les filles.

Et Michel Simon à qui Fabienne dit que la maison semblait vide sans lui …

Tino Rossi, Fernandel, Mistinguett, Sacha Guitry, Edith Piaf, Maurice Chevalier
Mais aussi, les trafiquants Szkolnokoff, Bonny, Lafont, Joanovici
et les officiers allemands



Mais le bordel connaît maintenant de nouveaux habitués, ceux qui s’affichent ouvertement pro-allemands et qui ne viennent pas seulement pour raison galante : Otto Brandl, grand ordonnateur des marchés noirs, le patron du bureau Otto (cf. 02), a sa table attitrée en compagnie de son associé, le capitaine Radecke ; il y reçoit le roi Joseph Joanovici, ferrailleur milliardaire, classé par les Allemands «WWJ», juif d’importance économique, (cf. 42), ou Michel Szkolnikoff (cf. 02), son alter ego dans les cuirs, peaux et tissus ; ils viennent y négocier leurs très fructueux trafics et marchés noirs lucratifs. « Monsieur Joseph » arrose tous ceux dont il peut tirer des faveurs. Sans oublier les gestapistes français Lafont et Bonny (cf. 39) et autres truands qui devaient donner à Fabienne leurs armes, qu'elle enfermait dans un coffre. Ce bordel devient un formidable lieu de rencontres : jolies filles, champagne et gastronomie haut de gamme sans tickets de rationnement...

Sphinx, Chabanais et «One», contre-exemples des bordels selon Berlin

L’entrée et le salon du Chabanais
(l’escalier est toujours visible)


La France, Paris en particulier, est synonyme de plaisir dans l’imaginaire allemand depuis la fin du XIXe siècle. Les soldats en garnison à Paris sont imprégnés de cet imaginaire, ils sont à la fois militaires et touristes à la recherche des beautés de la capitale, artistiques, historiques et charnelles. La France est la «patrie de la licence sexuelle et de la pornographie», sentiment résumé en une expression, Les Folies Bergère. La plupart des soldats allemands venaient de la campagne et n’avaient jamais quitté leur village avant la guerre, «on nous a montré des choses que nous ne nous représentions pas dans nos rêves les plus fous».

Chabanais, photo mise en scène pour les officiers allemands


Ainsi Paris devient une ville de garnison mais aussi une sorte de villégiature pour la Wehrmacht, en particulier après juin 1941 pour les soldats qui reviennent du front de l’Est. A ces hommes qui mènent une guerre d’anéantissement en URSS, il faut proposer des compensations, en particulier d’ordre sexuel. La fréquentation du bordel était l’une des attractions que le séjour en France procurait aux soldats de rang, pour lesquels un voyage dans le pays voisin était impensable avant la guerre.

Le Sphinx, boulevard Edgar Quinet


Des jeux sexuels entre soldats et Françaises, mais dans un cadre sanitaire strict : "Tous les moyens doivent être mis en œuvre […] pour empêcher tout rapport sexuel avec des personnes de sexe féminin non soumises à un contrôle sanitaire", ordonnance de Berlin, juillet 1940. Il s’ensuivra une frénésie réglementaire typiquement allemande. 

L’occupant a une phobie des maladies, renforcée par l’image stéréotypée d’une France minée par la contagion et la prostitution incontrôlée. Occuper la France c’était mettre les pieds dans un territoire "infesté". La crainte de voir l’armée allemande affaiblie par les maladies vénériennes vira au fantasme ; on crut dans les états major que la Résistance incitait des prostituées contaminées à coucher avec des soldats allemands !

Dès son arrivée en zone occupée, le Haut Commandement de l’Armée de Terre (OKH) considère que les bordels français manquent d’hygiène et de surveillance. A Paris, les soldats n’auront le droit de fréquenter qu’une quarantaine d’établissements sélectionnés, établissements interdits à toute autre personne, une pancarte devant indiquer clairement la clientèle admise. La surveillance des lieux est assurée par les services de santé de la Wehrmacht ; les prostituées sont inspectées deux fois par semaine, reçoivent une carte numérotée si elles sont aptes, carte qu’elles doivent présenter au client. Les ébats sont fichés, date et noms des partenaires, les capotes distribuées ; une fille malade non signalée est considérée comme «sabotage envers la Wehrmacht».

Les prostituées juives et d’autres « races dites inférieures » sont expulsées.

La prostitution de rue est interdite, les rafles sont régulières, les filles punies contrairement à leurs clients allemands.

En règle générale, la surveillance des contacts privés entre soldats et la population civile, en particulier féminine, est une des activités importantes du contre-espionnage militaire ; un soldat allemand ne doit pas tendre le bras à une Française, ne pas s’asseoir avec elle sur un banc public, ne pas fréquenter les cafés… Un comportement exemplaire, bien peu suivi par les soldats ; les rappels sévères du commandement à la discipline sont continus tout au long des années d’occupation, motivés par la crainte des maladies infectieuses, mais aussi par les problèmes de sécurité et les risques de métissage …

Remarque du soldat Kageneck, après sa visite d’un bordel : «Ah, les soldats, ils trouvent toujours un bordel plus facilement qu’une église».

La mise en place des bordels sous contrôle devient un modèle pour les services sanitaires de l’OKH pour les autres pays occupés. Mais aucun autre pays ne fut couvert par un tel réseau de bordels, dont on estime le nombre à une centaine.

Un Soldatenbordell à Brest :

Dans un établissement juif «aryanisé» ; les Allemands n'avaient aucun scrupule à désacraliser une synagogue en la transformant en établissement de plaisir.

Plus de 11.000 prostituées ont été réquisitionnées par les Allemands en France !


Extrait du journal de Ernst Jünger

20-21 mai 1941 : La nuit a été agitée, parfois même bruyante, car on m’a amené plus de quarante personnes appréhendées au cours des patrouilles dans les rues ou les cafés et hôtels. Il s’agissait surtout de soldats ivres ou d’autres sans permission régulière que l’on avait ramassés dans les hôtels de passe. […] Ceux qui avaient couché avec une femme passaient au préalable (avant la cellule) par les mains d’un soldat du service de santé. […] Dans la fournée ramassée à Montmartre, se trouvait aussi une petite prostituée de 18 ans qui se mit au garde-à-vous comme les soldats. Comme cette demoiselle était fort gaie et possédait un « bon moral », je la fis asseoir et bavarder avec nous dans le poste. Je la gardai ainsi, comme un canari, dans cet endroit pitoyable (fort de Vincennes, je suppose).

Extrait du journal de Jean Guehenno

3 décembre 1941 : Le XVIIIe arrondissement est puni. Couvre-feu à 17h30, etc. Dans un bordel, 41, rue Championnet, l’autre soir, des officiers allemands prenaient avec ces dames leurs ébats. L’idée leur vient de faire marcher un pick-up. Le pick-up cachait une bombe à retardement. La bombe a explosé. Trois de ces dames et deux de ces messieurs ont été tués. Heldentod [morts en héros], ajoute drôlement mon ami en me rapportant la nouvelle ; et il évoque les nobles lettres qui annonceront à leurs familles, à toute l’Allemagne, la mort de ces héros.  

Et Michel Simon ?

Le lendemain de sa signature avec Alfred Greven au « One », il va rendre visite à son vieil ami Maurice, ancien croque-mort; il dirige une usine d’amour, le Panier Fleuri, Boulevard de la Chapelle, dont la clientèle moins huppée que rue de Provence ne porte pas l’uniforme. Là, les méthodes sont rustres, barbares. Dans la salle d’estaminet, pas de tables, pas de chaises ; le client contre le mur choisit au passage la « fille » qu’il convoite. Les jours d’affluence, il n’a même plus le choix, il prend la première qui se présente… 

Le Panier fleuri est une des «maisons d’abattage» qui étaient implantées dans les quartiers de la Chapelle ou de Saint-Paul, comme celle de la rue de Fourcy, le Moulin Galant, dont le fonctionnement est décrit par Jean-Paul Clébert : «Au Moulin Galant, le travail se faisait à la chaîne. La fille, transformée en bête à plaisir, ne se relevait même plus entre deux clients. Quant aux questions d’hygiène que ces pratiques posaient, nul ne semblait s’en inquiéter. Ces usines du sexe faisaient la fortune de leurs propriétaires, mais à quel prix pour les travailleuses ?» (Paris Insolite).

One-Two-Two, suite et fin

A la Libération, la maison «accueille» la division Leclerc ; la clientèle change, les Anglais et les Américains, qui s’avèrent mal élevés, affluent.

Marcel Jamet est arrêté pour collaboration mais il réussit à plaider sa cause et à se présenter comme résistant – les prostituées qui recueillent des confidences sur l’oreiller, Fabienne rassemble des témoignages des personnes que Marcel avait aidées. Il est libéré au bout de huit jours et gagne le franc de dommages et intérêts dans son procès en diffamation contre les journaux l’Aurore et Ce Soir.

C’est cependant la fin de la belle vie, après quelques tentatives de reprise de restaurant ou de bar, Marcel prend la direction des cuisines de l’aéroport d’Orly ; Fabienne continue dans le turbin des hôtels de passe - « je ne sais rien faire d’autre » - elle est condamnée pour proxénétisme.

Fabienne Jamet publia ses « mémoires » après guerre dont voici quelques extraits :

« Je me souviens de ces SS tout en noir, si jeunes, si beaux, souvent d'une intelligence extraordinaire, qui parlaient parfaitement le français et l'anglais», et avec ça «d'une éducation parfaite, adorant les femmes, et d'une délicatesse !» Fabienne a une vision bien personnelle de la Schutzstaffel !

Et le mot de la fin : « Ah ! si les Allemands avaient gagné la guerre, les bordels seraient encore ouverts».

 

Pour en savoir plus :

Jean-Marc Loubier : Michel Simon, roman d’un jouisseur (Ramsay-cinéma, 1989)

Fabienne Jamet, One-Two-Two : 122 rue de Provence, Paris, ed. Olivier Orban,1975.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bordels_militaires_allemands_durant_la_Seconde_Guerre_mondiale

https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2003-2-page-69.htm

https://www.liberation.fr/culture/2016/07/17/one-two-two-le-lupanar-des-ss_1466756/

https://journals.openedition.org/viatourism/1716?lang=fr