Victor Chocquet
Durand-Ruel et la deuxième exposition impressionniste (avril 1876)
Le Legs Caillebotte

28 : Le cas Eugène Murer

95, boulevard Voltaire

Renoir - Eugène Murer, 1877, Metropolitan museum of Art NYC


Dans les années 1870, les amateurs sensibles à la qualité des œuvres des jeunes peintres de la mouvance « impressionnistes », sont rares : citons les docteurs Viau, de Bellio et Gachet, l’industriel Ernest Hoschede, le fonctionnaire Victor Chocquet (cf.23), le marchand d’art Paul Durand-Ruel (cf.25), sans oublier Gustave Caillebotte (cf.35). Tous sont issus des milieux de la bourgeoisie, sauf un : Eugène Murer.

Né à Poitiers en 1841, Murer est le fils d’une modiste ; ses études se terminent au collège de Moulins où il fait la connaissance d’Armand Guillaumin, futur peintre, et devient son ami.

Monté à Paris, le jeune Eugène Murer est d’abord saute-ruisseau (coursier) dans une étude d’architecte avant de devenir apprenti chez un pâtissier. Constatant sa soif d’apprendre, son patron l’incite à se cultiver ; l’apprenti dévore des quantités de livres et devient un visiteur assidu du Louvre.

Il se marie en 1869 puis s’établit à son compte pâtissier-restaurateur au 95, boulevard Voltaire.


Pissarro, Murer au fournil, 1877

Murer mécène

C’est par son ami Guillaumin qu’il fait la connaissance de Pissarro, Cézanne et Renoir ; flatté d’une telle compagnie et admiratif de leurs œuvres, il les invite régulièrement à sa table, les aide financièrement, leur achète des tableaux. « Tous les mercredis sa table est ouverte à Claude Monet, Alfred Sisley, Auguste Renoir, le docteur Gachet, Victor Vignon (autre peintre impressionniste) ou les collectionneurs Georges Viau et Ernest Hoschedé  et bien d'autres qui apprécient particulièrement sa spécialité : le pâté en croûte. »

Il organise une tombola pour la vente d’un tableau de Pissarro, accepte que les peintres laissent leurs tableaux en dépôt.

En résumé, un homme d’une grande générosité qui entretient à ses frais un cercle de peintres nécessiteux.


Murer n’est pas du cénacle

Un pâtissier mécène et marchand d’art attire l’attention de la presse et, inévitablement, les railleries ; ainsi Le Gaulois en janvier 1880 le tourne en dérision : « C'est moi qui fais la pâte, c'est le patron qui achète les croûtes, nous disait dernièrement un gâte-sauce. »

Le Coq gaulois d'avril 1880 s'étonne qu'un pâtissier puisse être un grand collectionneur, à l'égal de Victor Chocquet et de Georges de Bellio ; on estime qu’il achète des œuvres sans discernement.


Les « amis » peintre

Ses rapports avec les peintres sont ambigus et vont finir par se dégrader.

Monet n’a pas beaucoup d’estime pour le pâtissier qui pourtant va l’aider lorsque le peintre est dans la plus grande gêne lorsqu’il déménage avec toute sa famille à Vétheuil ; on va même le qualifier de pingre lorsque, malade, il réduit son aide.

Il envoie également des subsides dans ces mêmes années à Pissarro et sa famille, menacés de disette. Et cependant Pissarro s'empressera d'oublier l'aide du pâtissier, allant même jusqu'à la nier, ne voulant pas être associé à un « marchand de soupe ». Il ne lui sera d'aucun secours lorsque Murer sera à son tour en difficulté.

Il semble que les impressionnistes se détournent de Murer à mesure que leur notoriété grandit. Monet et Pissarro ne lui font pas entièrement confiance à cause de son éducation rudimentaire ; certains le tournent en dérision, tel Gauguin qui le surnomme le « Malin Murer » ; on met en doute son honnêteté de collectionneur, on le soupçonne de spéculation.

Ils ne sont que deux à avoir de l’estime pour lui : Renoir qui fera son portrait et le docteur Gachet qui le défend publiquement et l’accueille chez lui à Auvers-sur-Oise.


Vers la ruine

L'autodidacte paye au prix fort le fait de s'être hissé dans un milieu qui n’est pas le sien.

Malade, Murer part se reposer chez le docteur Gachet. Il vend le restaurant du boulevard Voltaire et achète un hôtel à Rouen, l’hôtel du Dauphin et d’Espagne qu’il met en gérance et où, sans rancune, il continue de recevoir des peintres.

Au courant des années 1890, l’hôtel du Dauphin connaît des difficultés, provoquant un conflit financier avec sa sœur qui, jusqu’alors, l’avait soutenu ; le conflit est envenimé par ses anciens amis peintres, Pissarro, Renoir, et même Guillaumin, qui prennent parti pour la sœur.

C’est la rupture avec le groupe impressionniste ; l'ancien pâtissier est obligé de vendre sa collection en 1897.

Murer, qui s’était mis lui aussi à la peinture, tente encore d’exposer ses œuvres, chez Vollard en 1898, puis en 1900 et 1903.

Il meurt en 1906 et est enterré au cimetière d'Auvers-sur-Oise ; le docteur Gachet et son exécuteur testamentaire sont les seuls à l’accompagner à sa dernière demeure.


Quelques tableaux de la collection Murer

  

Pissarro - Champ de choux à Auvers-sur-Oise, musée Thyssen, Madrid

Monet - Berge à Lavacourt, 1879, Fred Jones Museum of Art, university of Oklahoma.

Renoir - Les Deux inséparables, 1878, Oskar Reinhart Collection, Winterthour (Suisse)

Cézanne, le Val Fleury, 1877, coll. privée, Washington


Principale source :

Eugène Murer — Wikipédia (wikipedia.org)