37 : Mercredi 23 août 1933 - Violette Nozière découvre ses parents dans une flaque de sang
35 : Vendredi 30 octobre 1925 - Max Linder se suicide
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné
38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné

38 : Lundi 6 avril 1936 - Louis Leplée assassiné

83, avenue de la Grande Armée

Il était une heure du matin et déjà lundi quand le Gerny's ferme ses portes ce 6 avril 1936. Edith Piaf a vite déguerpi après avoir embrassé celui qu'elle appelle papa Leplée. Un premier rendez-vous la conduit à Montmartre pour fêter le départ au régiment d'un copain. Elle traîne ensuite 84, rue des Amandiers, chez son ami Camille Ribon avec qui elle avait travaillé jadis. Coup de blues, elle appelle Leplée. On cause et puis, tout d'un coup « Venez tout de suite ! » la coupe-t-on puis on raccroche… Elle reste stupéfaite. Un taxi. Destination 83, avenue de la Grande-Armée. Attroupement. Des gendarmes gardent l'entrée. Elle donne son nom. Un homme l'accompagne. A la sortie de l'ascenseur, elle voit la porte de l'appartement ouverte. Des inconnus encombrent l'antichambre. Dans un fauteuil, effondrée, il y a Laure Jarny, hôtesse-entraîneuse ancienne « reine des Six Jours », « lionne de Paris », que Leplée a recrutée et élevée au grade de directrice de son établissement.

- C'est horrible ! Louis a été assassiné !

Les débuts de Louis Leplée

Originaire de Bayonne où il est né en 1883, Louis Leplée monte à Paris où il est d’abord calicot, c’est-à-dire vendeur de nouveautés féminines, avec de se lancer dans le monde du music-hall comme artiste, aidé en cela par Polin, son oncle, comique troupier.

Il rencontre un autre personnage du monde du spectacle, Oscar Dufrenne, l’empereur des nuits parisiennes, homosexuel tout comme lui, qui lui met le pied à l’étrier. Oscar lui confie l’animation d’un dancing en sous-sol du Palace, 8, rue du faubourg Montmartre.

La salle de spectacle est le théâtre d’un drame, le 25 septembre 1933, dont la victime est le propriétaire.


Le « crime du Palace »

Les débuts d’Oscar sont similaires à ceux de Louis : il a tenté sa chance dans des comédies de province avant de monter à Paris et figurer dans des revues de music-hall à la Gaîté-Rochechouart ou au Grand-Guignol. Il quitte ensuite la scène pour devenir manager de tournées et, surtout, impresario de Mayol à partir de 1908.

Arrive la Première Guerre mondiale où il est mobilisé avant d’être réformé en 1915. Il prend alors la tête d’une délégation de gens du spectacle pour tenter de convaincre le ministre de l’Intérieur de laisser ouvertes les salles de spectacle pour soutenir le moral de la nation, en particulier les soldats en permission. C’est à partir de là que l’empire Dufrenne va commencer à se construire.

En 1929, il est, entre autres, le propriétaire du Concert Mayol, des Bouffes-du-Nord, de Ba-Ta-Clan, des Ambassadeurs, des casinos de Trouville et de Riva-Bella, du théâtre de l’Empire et du Casino de Paris ! Et du Palace qu’il a acquis en 1923, l’année où il a embauché Louis Leplée. Avec Henri Varna, il est l’auteur de revues dont Marie Dubas, Mistinguett ou Joséphine Baker sont les vedettes.

Il est aussi éditeur de musique, un temps président du Syndicat des directeurs de spectacle et conseiller municipal de Paris en 1929.   

C’est dans son bureau du Palace que, le 25 septembre 1933, Oscar Dufrenne est retrouvé mort, la tête fracassée, le corps à moitié nu enroulé dans un tapis.

Ce tragique fait divers arrive un mois après le début de l’affaire Violette Nozière (cf. 37) avec les mêmes relents de scandale : jeunesse dévoyée, parricide et prostitution d’un côté, un homosexuel victime d’un crime de nature sexuelle de l’autre.

Les journaux populistes et conservateurs s’emparent de ces deux affaires pour fustiger la décadence des mœurs, s’acharner sur les « gens aux moeurs spéciales ». Des affaires qui apportent de l’eau au moulin des ligues d’extrême droite et ébranlent la République. Un prélude aux émeutes du 6 février 1934 et la tentative de renverser la République.

La police arrête en 1935 un certain Paul Laborie, déjà condamné pour port d'armes, recel, trafic de stupéfiants et proxénétisme, considéré comme un amant de passage. Il sera acquitté lors de son procès ; le meurtre ne sera jamais élucidé.

Après la mort de Dufrenne, son associé Henri Varna lui succède à la tête des établissements, en particulier du Casino de Paris. Deux ans et demi plus tard, c’est au tour du protégé d’être tué.

Louis Leplée, un des rois des nuits parisiennes

Louis Leplée  jeune et le Gerny’s


Louis Leplée, de son côté, s’est associé à Robert Giguet, danseur et tenancier du cabaret le Canari, rue de Clichy, où Louis est animateur. A partir de 1927 il tient un restaurant-bar, le Chiquito, rue du Colisée, qui ferme en 1929. Avec Giguet, il anime alors le Liberty's bar, place Blanche.

Il devient propriétaire à son tour en février 1931, mais toujours avec Giguet, d'un restaurant de nuit, le Gerny’s, 8, rue de Port-Mahon, près de l’Opéra. Le restaurant est transféré en 1935 au 54, rue Pierre-Charron, près des Champs-Elysées ; à ce moment-là, Louis en est le seul propriétaire, Giguet étant de nouveau au Liberty’s.

Edith Piaf

Contrairement à la légende et à ce qui est indiqué sur la plaque de sa maison 72, rue de Belleville, Edith Gassion n’est  pas née dans la rue mais à l’hôpital Tenon.

Son père, Louis Gassion, est contorsioniste-antipodiste ; sa mère, Annetta Maillard, orpheline de père et saltimbanque tout comme sa mère, artiste lyrique selon l’acte de naissance d’Edith. La mère et la fille n’auront que peu de rapports toute leur vie durant. La mère, qui se fait appeler Line Marsa à la recherche du succès dans la veine des chanteuses réalistes, sans jamais le trouver, délaisse progressivement sa fille. « Elle chantait dans une robe noire des chansons tristes que personne ne chantait…. Aucun succès ». (Michel Simon).  Elle suivra les mêmes errances que Fréhel en Turquie.

Louis étant souvent en tournée, Edith est d’abord confiée à Aïcha, la mère d’Annetta, dompteuse de puces ! « une grand-mère plus pocharde que maternelle, vivotant de ménages plutôt que de puces savantes ». A la vue des conditions de vie de sa fille chez la grand-mère maternelle, Louis demande à sa propre mère de la prendre en charge. Ancienne écuyère de cirque, elle, au moins, tient un vrai commerce à Bernay : une maison close. « Elle avait beau tenir un bordel, c’était une femme bien ma grand-mère ».

Louis Gassion & Line Marsa


Edith a sept ou huit ans lorsque Louis l’emmène dans la tournée d’un cirque. A Forges-les-Eaux, après la prestation de Louis, Edith fait la quête et, en remerciement, chante … la Marseillaise, la seule chanson qu’elle connaisse,. C'est sa toute première prestation, ses débuts sur scène.

En 1930, Edith rencontre Simone Berteaut, la future compagne des années de mouise, sertisseuse chez Wonder, une fille du 20e. A ce moment là, Edith commence à gagner de l’argent en chantant dans les rues. Simone l’accompagne, l’une chante l’autre quête.

Edith enfant et avec Simone Berteaut


En 1932, alors qu’elle se produit dans un café de Romainville, elle fait la connaissance de Louis Dupont, alias P’tit louis, garçon livreur ; c’est un flirt qui aurait dû en rester là si Edith ne s’était pas retrouvée enceinte. Edith accouche le 11 février 1933, à dix-sept ans, d’une petite Marcelle Dupont.

Le ménage fait long feu : Louis rêve d’une épouse et d’une mère à la maison ; impensable pour Edith qui s’installe dans un hôtel avec Simone et Marcelle, jusqu’à ce que Louis enlève sa fille.

On considère généralement cet événement comme le point de départ de la vie de bâton de chaise qu’Edith va dorénavant mener.

En 1934, Pigalle devient le centre de gravité de la chanteuse affranchie qui se mêle à une faune de loubards où se distinguent des caïds tels que Tarzan, Ali-Baba, Jeannot le mataf... « j’ai débarqué à Pigalle parmi les bars, les souteneurs et les filles perdues » ; un Albert tente de la mettre sur le trottoir, puis elle rencontre un marin, puis Léon, un spahi…

Un soir, P’tit Louis ressurgit, Marcelle se trouve aux Enfants-Malades. Edith s’y précipite mais l'enfant est déjà entre la vie et la mort et meurt la 7 juillet 1935, à deux ans et demi ; elle est enterrée au cimetière des pauvres, à Thiais.

Au milieu des marlous et des régulières, Edith pourrait toucher le fond mais un heureux hasard va sceller son destin.

Edith Gassion rencontre Louis Leplée

C’est peut-être en octobre 1935, Edith et Simone sont à l’angle de la rue Troyon et de l’avenue Mac-Mahon, un quartier qui n’est pas dans leurs habitudes.

Louis Leplée passe à proximité, peut-être en voisin puisqu’il habite 83, avenue de la Grande Armée. Il écoute, attentif, et un dialogue s’engage qui ressemble à celui-ci :

- Tu n’es pas folle ? tu vas te casser la voix.

- Il faut bien que je mange

- Bien sûr mon petit, seulement, tu pourrais travailler autrement. Pourquoi pas dans un cabaret ?

- Si vous avez un contrat à m’offrir

- Et si je te prenais au mot ? je m’appelle Louis Leplée et je tiens le Gerny’s. Tu viendras lundi à quatre heures.

Edith commence sa prestation au Gerny’s par les Mômes de la Cloche ; on l’écoute, sa voix s’affermit, l’examen est passé avec succès : « Elle en a plein le ventre, la môme ! » dit une voix, c’est Maurice Chevalier.

Louis Leplée lance la carrière de la « Môme Piaf »

C’est lui qui lui trouve ce surnom ; elle devient Edith Piaf et « La Môme » lui collera à la peau durant toute sa carrière.

Edith au Gerny’s

C’en est fini de la chanteuse des rues. Grâce à son mentor, on l’entend à Radio-Cité trois semaines après sa première prestation au Gerny’s. Le standard téléphonique est assailli d'appels et elle est invitée à revenir pour treize émissions. Elle se produit aussi aux six jours du Vel d’Hiv, à Médrano.

Les Six Jours au Vel’ d’Hiv’


Son premier disque, chez Polydor, sort le 18 décembre 1935. Elle fait aussi une apparition début 1936 dans La Garçonne, un film dont les vedettes sont Marie Bell et Arletty, film qui sortira après l’affaire.

Mais elle continue d’avoir dans son sillage « des casseurs, des souteneurs, des receleurs, des arnaqueurs », ses copains de Pigalle, selon ses propres termes.

Ceci dit, l’ascension est impressionnante ; tout va pour le mieux jusqu’à ce jour d’avril 1936 où tout s’arrête, pour un temps.

Tout va pour le mieux jusqu’à…


6 avril 1936

 Dans la nuit du 5 au 6 avril 1936, quatre hommes frappent à la porte de l’appartement de l’avenue de la Grande Armée ; la femme de ménage ouvre, est poussée dans le salon et ligotée.

Les hommes se précipitent dans la chambre de Leplée :

- On t’a ! Tu ne nous auras plus ! entend-elle crier dans la chambre de son patron.

Leplée appelle la domestique au secours, « Thérèse ! Thérèse ! » puis ces derniers mots, « Ah ! les salauds !… ».

Un coup de feu étouffé (à travers un oreiller ?).

Puis les hommes reviennent vers Thérèse : « Où est l’argent ? » tout en fouillant l’appartement avant de s’enfuir.

Louis Leplée a reçu une balle dans la tête, il est retrouvé le corps attaché et bâillonné ; il est mort la veille de son 53e anniversaire. Ses obsèques ont lieu le 11 avril dans l’église Saint-Honoré d’Eylau (là où Max Linder s’était marié quelques années plus tôt, cf. 35).

Edith aux obsèques et la « une » de Détective


Un meurtre qui a failli coûté sa carrière à « la Môme »

Dans l’appartement, rien n’a été volé, pas même une importante somme en espèces déposée dans un tiroir. Les enquêteurs penchent d’abord pour une affaire de mœurs, car Leplée recevait beaucoup de jeunes amants de passage à son domicile.

Le Journal, 7 mai 1936, Edith impliquée (retronews.fr)


L'enquête s'oriente un temps vers Edith étant donné ses fréquentations de Pigalle. Elle est mise en garde à vue pour éviter tout contact avec le milieu. Interrogée pendant 48 heures, elle donne des noms.

Albert Valette, petit truand qui fut son amant, est soupçonné avant d'être finalement disculpé, disposant d'un alibi.

Edith est relâchée après vérifications mais c'est une mauvaise publicité pour la chanteuse, d'autant plus qu'on la voit acculée derrière une table de bistrot dans un reportage filmé :

- Melle Piaf, pourquoi avez-vous indiqué le nom de nombreux amis ?

- Mais je n'ai accusé personne, Monsieur ! J'étais obligée de dire avec qui j'étais. Si je n'avais rien dit on aurait eu l'air de dire que je protégeais quelqu'un. J'ai dit la vérité mais je n'ai accusé personne !

- Vous connaissiez Louis Leplée

- Je n'ai plus d'amis, pleure-t-elle dans son mouchoir. Je n'ai plus personne, qu'on me laisse tranquille ! ».

La chanteuse, qui ne connaît le succès que depuis six mois, se trouve entraînée dans cette affaire qui touche le monde du spectacle où un homosexuel a été assassiné. Avec l’aide d’une certaine presse, un sentiment de malveillance vis-à-vis de la chanteuse s’empare de l’opinion et sa carrière connaît un coup d’arrêt.

Elle peut compter maintenant sur les doigts d’une main ses amis, dont Jacques Canetti, Marguerite Monnot et, depuis peu, Raymond Asso. Grâce à ces trois personnes, sa traversée du désert ne va durer que quelques mois :

- Tout d’abord Jacques Canetti, qui lui permet de se faire à nouveau entendre sur les ondes de Radio-Cité.

- Marguerite Monnot, pianiste et compositrice de grand talent, va devenir sa plus fidèle amie. Elle a composé Mon légionnaire, chanson créée  en 1936 par  Marie Dubas ; Edith s’en empare en 1937. Suivront quelques-uns de ses plus grands succès, Les Amants d'un jour, La Goualante du pauvre Jean, L'Hymne à l'amour ou Milord (Paroles de Georges Moustaki).

- Enfin, Raymond Asso, parolier qu’elle appelle à la rescousse à la fin 1936 ; il accepte de continuer à écrire pour elle à condition qu’elle abandonne son mode de vie dissolue…. et celle qu’il appelle son âme damnée, Simone. Son pygmalion fait d'elle une vraie professionnelle.

Raymond Asso et Marguerite Monnot


« Louis Leplée l’a découverte, Raymond Asso l’a fabriquée ». 


L’affaire Leplée ne sera  jamais élucidée, tout comme le meurtre d’Oscar Dufrenne.

 

 

Source principale :

Piaf, Pierre Duclos, Georges Martin, ed. du Seuil, 1933 (coll. Pointe en poche)

Sommaire :

Les débuts de Louis Leplée

Le « crime du Palace »

Louis Leplée, un des rois des nuits parisiennes

Edith Piaf

Edith Gassion rencontre Louis Leplée

Louis Leplée lance la carrière de la « Môme Piaf »

6 avril 1936

Un meurtre qui a failli coûter sa carrière à « la Môme »