49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park
49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park
49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park

09 - 12 décembre 1940 : La NRF a «décidément reparu»
34 - 14 mars 1943 : Jünger chez Marcel et Elise Jouhandeau
22 - 21 novembre 1941 : la vitrine de la librairie «Rive gauche» vole en éclat


49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park
49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park
49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park

49 - 3 juin 1944 : Paulhan et Guéhenno à Luna Park

            Porte Maillot

«Paris, Luna-Park de l’Europe nazie ?»

Chapitres :

            Journal de Jean Guéhenno, 3 juin 1944

            Le Parc Magic City devient Fernsehsender Paris

            Luna-Park dans les guides de la Wehrmacht

            Jean Paulhan


Journal de Jean Guéhenno, 3 juin 1944

«Hier, Paulhan nous a conduits à Luna-Park. Si l’on peut juger d’un monde aux plaisirs qu’il se donne, celui où nous vivons est affreux. On entre par un vaste couloir entre les glaces déformantes où chacun peut se voir tour à tour nain ou géant, obèse comme un tonneau ou mince comme un fil de fer. Après quoi, mal sûr de ce qu’on est, on est prêt à toutes les «attractions… ». […] Nous nous promenions parmi les jeux de balles ou d’anneaux, quand soudain voici ce que nous avons vu : sur un lit, à peine recouverte d’un drap, une femme à peu près nue ; elle nous regardait approcher, elle avait l’air d’une bête ; elle est là couchée tout le jour. Au-dessus d’elle, une cible ; le plus habile, en lançant une balle, fait se renverser le lit et tomber la femme. C’est là ce que l’on peut voir à Paris en 1944. Heureusement, ce paradis infernal était à peu près vide : quelques grues en quête de clients, quelques jeunes voyous qui cassaient frénétiquement des assiettes, surtout des soldats et des sous-officiers allemands à la recherche de nouvelles raisons de se suicider, formaient tout le public. Pas plus de cinquante personnes».

Magic City puis Fernsehsender Paris

Un grand parc d’attractions a précédé de neuf ans le fameux Luna-Park de la Porte Maillot : le Magic City, installé en 1900 quai d’Orsay, près du pont de l’Alma, initiative d’Ernest Cognacq, le propriétaire de la Samaritaine. Principalement destiné aux adultes : spectacles, scenic railway, canal de Venise, restaurant, bal, skating, palais persan et représentations «d’indigènes», triste conséquence des politiques coloniales.

La pression immobilière, le percement de la rue Cognacq-Jay, et la baisse de la fréquentation réduisent sa surface. En 1926, il ne subsiste qu’une vaste piste de danse célèbre pour ses bals homosexuels.

La Magic City ferme définitivement en 1934.

Il est réquisitionné en 1942 par l’autorité occupante pour être détruit. On y installe les studios de télévision Fernsehsender Paris qui deviendront plus tard Paris-Télévision et salle de cinéma pour les soldats.

Les studios sont utilisés après la Libération et ce, jusqu'en 1992, par la RTF, puis l'ORTF et enfin TF1 qui les quittera finalement pour ses studios de Boulogne.

Luna-Park

La Porte Maillot accueille successivement plusieurs attractions pour les Parisiens : un ballon captif en 1890 dont les ascensions s’arrêtent après un accident ; en 1900, le Columbia, salle de 6.000 places pour un spectacle de 1.500 personnages dont 600 danseuses, éléphants, chameaux, serpents…

Puis, de 1905 à 1908, le Printania music-garden, cirque permanent et jardin agrémenté d’un toboggan géant avec ascenseur et restaurant en terrasse.

Luna-Park nait en 1909, sur le modèle de Coney Island et de Magic-City.

Scenic railway, montagnes russes longues de 1.947m, «water-chute», dancing…

“Water chute”

Et d’autres attractions à destination des adolescents et des amateurs de lingerie féminine : viser une cible avec une boule de bois qui fait basculer d'un lit une fille en porte-jarretelles, ou bien, le «Voyage dans la lune», qui se termine par un jet d'air comprimé relevant la jupe de demoiselles audacieuses...

Luna-Park faisait donc partie des «incontournables» dans les guides pour soldats en permission de la Wehrmacht ; on y pratiquait la «fraternisation».

A voir, collection de photos sur http://www.occupation-de-paris.com

Luna-Park sera définitivement fermé en 1948.


Jean Paulhan

Il a 60 ans en 1944 ; ce fils de philosophe avait fréquenté les milieux anarchistes dans sa jeunesse. En 1932, il est conseiller municipal de Chatenay-Malabry, s’étant présenté sur la liste SFIO de Jean Longuet, le petit-fils de Karl Marx.

Ecrivain reconnu, il entre à la NRF en 1919 comme secrétaire de son directeur, Jacques Rivière. Après la mort de Jacques Rivière, Gaston Gallimard lui propose de diriger la principale revue littéraire d'Europe, tâche qu’il assurera de 1925 à 1940.

Alors que les Allemands occupent Paris, il emménage 5, rue des Arènes, qui restera son domicile jusqu’à sa mort. Il exhorte ses amis à ne pas collaborer ; la publication de la NRF s’arrête. Sans entrer dans une clandestinité complète, il participe à l’effort de résistance en collaborant au journal du même nom et en fondant avec Jacques Decour, les Lettres françaises, la tribune clandestine des écrivains et critiques ; il soutient les Editions de Minuit, de Vercors et Pierre de Lescure.

Fin 1940, sous la pression des Allemands, la NRF reparaît, sous la direction de Pierre Drieu la Rochelle (cf. 09), au grand de Jean Guéhenno. Paulhan refuse le poste de co-directeur que lui propose Drieu. Pourtant, Paulhan lui prêtera main forte, «l’ancien directeur devenu éminence grise tient réunion, dans le bureau attenant à celui de Drieu, rue Sébastien Bottin, à la fois pour la NRF et pour la revue Résistance, les Lettres Françaises ou les éditions de Minuit qu’il soutient parallèlement. […]Le défilé des personnalités qui passent du bureau de Drieu à celui de Paulhan, de 1940 à 1943, regroupe les plus belles plumes de la résistance comme de la collaboration littéraire. » (Laurent Gayard)

Arrêté une première fois en 1941 par les Allemands qui ont trouvé chez lui la ronéo servant à imprimer les Lettres française, il est libéré grâce à l’intervention de Drieu auprès de l’ambassadeur Otto Abetz, Jean Paulhan connaît une nouvelle alerte en mai 1944 : Elise Jouhandeau le dénonce à la Gestapo comme Juif (cf. 34) ; Marcel Jouhandeau prévient Paulhan - «Ce que j'aime le plus au monde a dénoncé ce que j'aime le plus au monde». Un coup de fil de Gerhard Heller, responsable de la censure littéraire (cf. 22) l’avertit de l’imminence de son arrestation ; l’écrivain s'enfuit par les toits de la rue des Arènes : «Vous connaissez la définition de la démocratie : “quand on vous réveille à 7 h., c’est pour vous apporter du lait”. Précisément ce qui s’est passé. Ce n’était pas du lait».

Il reste dans la clandestinité de mai à août 1944.

Jean Paulhan et Jean Blanzat dans la clandestinité


Après la Libération, l'évolution du Comité national des écrivains - l’organe de résistance des écrivains et des intellectuels qu’il avait créé - qui devient un organe d’épuration de la littérature française, l’incite à prendre la défense d'écrivains «collaborateurs», non pour les justifier, mais pour leur permettre d'être à nouveau publiés. Il dénonce alors les «vertueux» résistants littéraires de l'après-guerre devenus censeurs.

En 1953, il reprend la direction de la NRF, autorisée à reparaître sous le titre Nouvelle Nouvelle Revue française.


Pour en savoir plus :

http://www.occupation-de-paris.com

https://www.revuedesdeuxmondes.fr/jean-paulhan-pierre-drieu-rochelle-etrange-amitie/