Victor Chocquet
Durand-Ruel et la deuxième exposition impressionniste (avril 1876)

30 : La Rue Montorgueil – Monet (1878)


Début 1878, obligé de réduire son train de vie, Monet quitte Argenteuil et s'installe provisoirement à Paris, rue d’Édimbourg. Il réussit à payer in extremis ses créanciers afin d’éviter la saisie de ses toiles.

Il revient à Paris pour la naissance de son deuxième enfant, préoccupé par la santé de Camille, sa femme ; le 17 mars 1878, elle met au monde un second fils : Michel mais elle ne se remettra jamais de cet accouchement, restant dans un état de fatigue continuel.


La rue Montorgueil, 30 juin 1878

Ce jour-là, le peintre flâne dans Paris à la recherche de motifs quand  il passe dans la rue Montorgueil pavoisée de drapeaux : « J'aimais les drapeaux. La première fête nationale du 30 juin, je me promenais rue Montorgueil avec mes instruments de travail ; la rue était très pavoisée avec un monde fou. J'avise un balcon, je monte et demande la permission de peindre, elle m'est accordée. Puis je redescends incognito ! »

Rue Montorgueil, fête nationale du 30 juin 1878, musée d'Orsay


Le même jour et dans la rue Saint-Denis voisine, même démarche ! Deux inscriptions peu visibles « Vive la France » en banderole, et sur un drapeau « Vive la Rép[ublique] ».

Rue Saint-Denis, 30 juin 1878, musée des beaux-arts de Rouen


Les couleurs vives, la profusion de drapeaux français, font ressortir avec force l'atmosphère festive de cette journée. Une touche nerveuse et une composition presque abstraite.

Le 30 juin 1878 est la fête nationale pour la « paix et le travail », promue par l'État républicain français dans un esprit de reconstruction après l'humiliation de 1870. C’est aussi le jour de la clôture de l'Exposition universelle

Rappelons que le 14 juillet, jour de la fête nationale, ne sera institué qu’en 1880, un choix difficile, certains auraient préféré le 4 août par exemple.


La rue Mosnier aux drapeaux de Manet

  

Manet - la Rue Mosnier aux drapeaux, 1878  J. Paul Getty Museum, Los Angeles


Ce même jour, Manet illustre lui aussi le thème de la rue pavoisée mais dans un registre plus mélancolique. La rue Mosnier s’appelle aujourd’hui rue de Berne, proche de la rue Saint-Pétersbourg où habite le peintre.

Beaucoup moins de drapeaux dans ce tableau et cet unijambiste qui pourrait rappeler les séquelles de la guerre et de la Commune.

La rue Mosnier est le sujet d’un autre tableau, les paveurs….

Manet - Les paveurs de la Rue Mosnier, 1878, coll. partic.


Sombre période pour Monet

Allégresse de la rue Montorgueil mais de sombres jours pour Claude Monet. La famille ne reste pas longtemps à Paris ; il s’installe à Vétheuil, près de Pontoise, en compagnie du couple Hoschedé (cf.23). Ernest Hoschedé a fait faillite en raison de ses spéculations sur les œuvres d'art ; il ne vient à Vétheuil qu’épisodiquement, contrairement à Alice qui veille sur Camille, une situation qui fait jaser…

Les soucis financiers de Monet le poussent à brader les dernières toiles peintes. La santé de sa femme empire, elle meurt le 5 septembre 1879 après de longues souffrances. Monet témoigne des derniers instants de sa femme en réalisant un portrait d'elle sur son lit de mort. Le voilà veuf avec deux enfants.

Camille sur son lit de mort, 1879, musée d’Orsay


Sombre période pour l’artiste et sa peinture s’en ressent ; en témoignent ses tableaux du terrible hiver de décembre-janvier 1880.

Effet de neige à Vétheuil, 1879, musée d’Orsay

La Débâcle à Vétheuil, avec vue sur Lavacourt, Palais des beaux-arts de Lille, 1880


Ces couleurs froides et l’absence l’éloignent de ses amis qui publient cet avis de décès le 24 janvier 1800 : « Les obsèques de M. Claude Monet seront célébrées le premier mai prochain à dix heures du matin en l'église du Palais de l'Industrie - salon de M. Cabanel. Prière de ne pas y assister » ; éloignement confirmé lorsque Monet décide d’exposer au Salon la même année. Les impressionnistes ne vont pas tarder à suivre chacun son chemin.


Succès à l’horizon

7 juin 1880, début de la sortie du tunnel : le journaliste Georges Charpentier organise une exposition de 18 des toiles du peintre ; le succès est suffisant pour que la vente solde ses dettes. Monet refuse maintenant de vendre ses toiles à bas prix ; la perception des critiques et du public a changé, l’accueil se fait bienveillant.

Grâce au marchand Paul Durand-Ruel (cf.25), Monet est découvert à Londres et en Amérique, mais on en est encore au succès d’estime.


Le parc Monceau peint par Monet en 1878