Le Balcon – Manet (1869)
La première exposition des Impressionnistes (1874)

16 : Paris vu des hauteurs du Trocadéro – Berthe Morisot (1872)

Dans la famille Morisot, il y a deux filles peintres, Berthe et sa sœur aînée, Edma, toutes les deux encouragées par leur mère ; elles exposent ensemble au Salon puis Edma abandonne ses pinceaux après son mariage en 1869.

Tableau d’Edma Morisot : Berthe Morisot, vers 1865, collection particulière


Deux jeunes filles d’un égal talent auxquelles madame Morisot avait offert un professeur particulier, monsieur Guichard, l'École des beaux-arts n'étant pas ouverte aux femmes.

Monsieur Guichard à madame Morisot : « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».

Nées dans le Cher dont le père est préfet, les deux jeunes filles déménagent avec leur famille à Passy. Les parents louent une maison à Ville d’Avray, la ville de Camille Corot qui devient un familier, puis à Auvers-sur-Oise, où elles sont présentées à Charles Daubigny, deux amis qui ne peuvent qu’encourager leur vocation.

Présentée au Salon de 1864, Un vieux chemin à Auvers

l’une des premières œuvres de Berthe


Les réunions chez les Morisot qui tiennent salon ou les soirées chez monsieur de Gas, le père d’Edgar, sont l’occasion de rencontrer des artistes de la nouvelle génération : Fantin-Latour, James Tissot et, en particulier, Edouard Manet, l’ami qui fait cette réflexion : « les demoiselles Morisot sont charmantes, c'est fâcheux qu'elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux ».


Berthe Morisot et Manet

Berthe n’a pas été l’élève d’Edouard Manet ; lorsqu’elle se rapproche de lui, il ne lui reste rien à apprendre, son éducation est déjà faite de règles et de principes. C’est plutôt un chassé-croisé d'influences mutuelles, d'emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement.

Manet, en revanche, a cherché à s’approprier Berthe en la faisant poser pour lui, n’éprouvant aucune difficulté à la peindre, comme dans le chef d’œuvre, Le Balcon (cf.12)


Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro

  

Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro, 1872, Santa Barbara Museum of Art


Entre 1871 et 1872, Berthe Morisot réalise plusieurs de ses chefs d’œuvre : Femme et enfant au balcon où sont représentées sa sœur Edma, devenue madame Pontillon après avoir épousé un ami de Manet, et sa fille Paule ; pour Le Berceau, c’est à nouveau Edma qui sert de modèle, et l'enfant, c'est l’autre fille d'Edma, Blanche.

Femme et enfant au balcon, 1872,  Artizon museum,Tokyo

Le Berceau, 1873, musée d’Orsay


A Passy, dans leur maison près du Trocadéro, les parents de Berthe et d’Edma installent un atelier dans le grand jardin. Le souhait de madame Morisot est de voir ses filles se consacrer à des représentations familiales mais Berthe préfère peindre des paysages, à la surprise de Guichard, son professeur.

Berthe n’est pas contente de son tableau, elle se rend compte qu’elle a été, contre son gré, influencée par Manet. Elle écrit à sa sœur : « comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m'en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet avait peint pendant l'exposition universelle de 1867 : Vue de l'exposition universelle de 1867.

Manet - Vue de l'Exposition universelle de 1867,

Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo


Pilier de l’impressionnisme

Peu à peu, Berthe Morisot s'écarte des couleurs sombres de Manet pour adopter une palette proche de celle de Corot, parfois éclatantes. « L’artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l’air qui les enveloppe… le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l’impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d’autorité que Mme Morisot. » Gustave Geffroy, critique d’art.

Ses camarades la reconnaissent comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas, camarades auprès desquels elle s’engage pleinement en adhérant à la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs qui organisera la fameuse exposition de l’été 1874, et ce, en dépit du refus de Manet d’y participer (cf.20). Mais elle est doublement la cible des critiques, en tant que peintre et en tant que femme, « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire », Renoir raconte qu'un détracteur a qualifié Berthe Morisot de prostituée et que Pissarro lui a envoyé son poing dans la figure, déclenchant une bagarre. La police dut être appelée en renfort.

Avec un courage certain, cette jeune femme de la meilleure bourgeoisie n’hésite pas à participer à toutes les manifestations des impressionnistes, à l’exception de celle de 1879, où une autre femme expose pour la première fois, Mary Cassatt.

Mary Cassatt - Red poppies in a field, 1874, Philadelphia Museum of Art