02: L’Académie Suisse (1860-1861)
4, quai des Orfèvres
Quai des Orfèvres, 25 août 1870, musée du Carnavalet (la maison « Sabra Dentiste »)
En 1815, Martin-François Suisse, né à Paris, fils d'un perruquier, ancien modèle de Jacques-Louis David, crée un atelier au 4, quai des Orfèvres. Il dirige l’académie Suisse jusqu'à sa mort en 1859. Son neveu, Charles Alexandre Suisse, assure la relève jusqu’à la fin du Second Empire.
Gustave Courbet : Alexandre Suisse (Metropolitan Museum of Art)
Avec une somme mensuelle modique, les artistes rapins peuvent profiter de la présence d'un modèle. Aucun examen d’entrée n’est requis, les artistes ont une liberté absolue dans « le sanctuaire de l'Art et du tapage ». La grande pièce crasseuse de cette vieille maison est meublée d’un divan bas et d’une estrade pour le modèle et de tabourets de hauteurs différentes. Les étudiants s’assoient comme ils peuvent, leur planche à dessin posée sur les genoux. Au fond de la pièce, une banquette sur laquelle on peut s’allonger pour dormir.
Bazille, Renoir et Monet fréquentent l’académie Suisse en même temps que l’atelier Gleyre (cf. 01)
Paul Cézanne
Un enfant né hors mariage en 1839 à Aix-en-Provence de Louis Auguste Cézanne qui le reconnaît et d'Anne Élisabeth Aubert, ouvrière chapelière. En 1848, Louis est co-associé de la banque Cézanne et Cabassol, Paul profite d’une éducation bourgeoise : le collège Bourbon où il se lie d'amitié avec Émile Zola, puis des études de droit où il ne s’épanouit pas, à tel point que son père finit par accepter qu’il monte à Paris en 1861 pour étudier la peinture.
Après son échec au concours d'entrée de l'École des beaux-arts, il revient à Aix avant de retenter sa chance dans la capitale. C’est cette année-là qu’il fréquente l'académie Suisse et qu’il rencontre Monet et Pissarro.
Doté d’un fort accent, « d'une timidité souffrante » selon Zola,
pudique jusqu'au malaise mais parfois très narquois et ironique, sujet à de brusques colères. Cézanne ressemble à un hérisson, selon Renoir.
Paul Cézanne trouve dans l’Académie Suisse la compagnie dans laquelle il se plait à être et le genre de modèles qui lui conviennent : des ivrognes, des clochards, parfois un ouvrier. Il les peint tels qu’il sont, à grands traits de fusain, dans un style brutal qui devait heurter et choquer profondément son époque.
Parmi les visiteurs de l’atelier, Antoine Guillemet, peintre et ami de Manet (l’homme du Balcon, cf.12), apprécie le travail de Cézanne. Il intervient auprès de son père qui monte à Paris pour arranger les affaires de son fils.
Fréquentent également l’académie : Frédéric Bazille, Carolus-Duran, Camille Corot, Gustave Courbet, Honoré Daumier, Armand Guillaumin, Paul Huet, Francisco Oller.
En 1870, l’atelier est racheté par Filippo Colorassi qui le transfère 10, rue de la Grande-Chaumière.
Le grand Fréderic Bazille représenté aux côtés de Gustave Courbet dans le Déjeuner sur l’herbe de Claude Monet, 1866, musée d’Orsay
Frédéric Bazille est né le 6 décembre 1841 à Montpellier, fils d’une famille protestante et fortunée, son père est préfet.
Il monte à Paris pour suivre des études de médecine tout en consacrant une bonne partie de son temps à la peinture et ce qu’il en reste aux concerts et au théâtre car ce gaillard de grande taille, aux beaux cheveux blonds et doté d’un charmant sourire, est un mondain.
Ses maîtres en peinture ? Courbet, Delacroix et Véronèse, le maître de la couleur. Beaucoup de ses paysages seront ceux du sud, de la région de Montpellier où il retourne tous les ans ; là, il montre ses talents de coloriste à une époque où Monet, Cézanne et Renoir ont encore une palette sombre. Il cherche à simplifier certaines formes, à rendre les bâtiments géométriques et préfigure en cela ce que va faire Cézanne bien plus tard.
Les ateliers de Bazille
En cinq ans, Bazille a occupé quatre ateliers : il est troublant de penser que l’essentiel du travail de Bazille tient, grosso modo, sur cinq années et quatre ateliers, dont trois seulement sont ici représentés.
1860, musée d’Orsay
Manet, peintre impressionniste ?
Pas vraiment car il se distingue de ses jeunes amis par une facture soucieuse du réel qui utilise peu les effets de couleur et le traitement de la lumière chers à Monet ou Renoir. En revanche, il leur montre la voie dans la mesure où il représente des scènes de la vie contemporaine, des aperçus de la vie réelle à Paris débarrassés de tout sentimentalisme, déconcertant le public de son époque (cf. 05). La Musique aux Tuileries en est le premier exemple dans sa production.
La Musique aux Tuileries
1862, National Gallery
C'est l’univers huppé et raffiné dans lequel évolue Manet.
Le palais des Tuileries est occupé par la famille impériale ; le jardin est un haut lieu de la vie parisienne, très fréquenté par la bourgeoisie et l’aristocratie. Familial dans la journée et, le soir venu, parcouru par les prostituées en quête de clients aisés. Les allées sont donc une vitrine de la mode puis un espace de plaisir et de polissonnerie.
« Un jardin peuplé de son monde mais qui ne se reconnaît guère dans ce foisonnement de couleurs et cette alternance de blanc et de noir. Un chatoiement de couleur là où on attendait le portrait d’une élégante assemblée. Un monde froufroutant, futile et raidi dans sa dignité.
Désordre de chaises, d’ombrelles ouvertes, des enfants qui jouent, mais pas de musiciens en dépit du titre ; il leur tourne le dos et fait un spectacle des spectateurs. »
Bien sûr, pas de modèle professionnel, Manet a placé sa famille et ses amis dont voici la liste selon La Musique aux Tuileries (1862) – The Ark of Grace