45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
42 : Samedi 17 mars 1951 – Pauline Dubuisson



45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV
45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV

45 : Samedi 27 juin 1964 - Lucien Léger signale le vol de sa 2 CV

Commissariat des Invalides, 7-9, rue Fabert (7e)

Le commissariat des Invalides et l'Hôtel de France, boulevard de La Tour-Maubourg


Le 27 juin 1964, un homme vient déclarer au commissariat des Invalides le vol de sa 2 CV. Quatre jours plus tard, il se rend au 36, quai des Orfèvres pour déclarer qu’il a retrouvé sa voiture.

Cet homme s’appelle Lucien Léger. Un mois plus tôt…

Sommaire :

La disparition de Luc Taron

L'affaire de l'Etrangleur commence

56 lettres et messages de l'Etrangleur

Puis le commissaire Poilblanc enquête sur une 2 CV volée

Deux aveux successifs

La vraie vie de Lucien Léger

La vie inventée de Lucien Léger

Léger inculpé

Le plus vieux détenu de France

Un immense besoin de reconnaissance

La disparition de Luc Taron

Un mois plus tôt, le 26 mai 1964, vers 17h00, à Paris, un enfant de onze ans, Luc Taron, sort de chez lui, 18, rue de Naples,  après avoir été grondé par sa mère car il lui a volé quinze francs cachés dans un secrétaire.

Ses parents, Yves Taron, 56 ans, représentant de commerce, et Suzanne Brulé, 30 ans, ne préviennent pas immédiatement la police ; leur fils, que les parents décrivent comme étant instable, a déjà fugué par deux fois, quelques heures avant de revenir.

Cette fois-ci, le retour de l’enfant tarde, les parents commencent par le rechercher eux-mêmes dans le quartier avant d’avertir la police vers cinq heures du matin le lendemain.

Mercredi 27 mai 1964, vers cinq heures trente, alors que les parents de Luc sont au commissariat, Jules Beudard, employé à Saclay, traverse les bois de Verrières-le-Buisson pour se rendre à son travail. Il remarque un tas de vêtements qui s’avère être le corps d’un enfant vêtu d’une culotte courte et d’un polo. La 1e brigade mobile et l’Identité Judiciaire de Versailles sont alertés à 9h20 ; à 13h00, le corps est transporté à la morgue de l’hôpital d’Orsay. L’autopsie révèle qu’il n’y a pas eu d’agression sexuelle, qu’il y a des ecchymoses et que les narines et la bouche sont obturées par les « débris forestiers ». 

Plus tard dans la journée, un couple, Pierre et Geneviève Lelarge, sont interrogés ; ils affirment avoir vu un homme sortir du bois dix minutes avant l’arrivée de Beudard ; ils décrivent « un homme de type nord-africain », 1m70, 30 à 40 ans et vêtu d’un costume bleu.

Vers 18h00, les policiers invitent M. Taron a les accompagner à Orsay. Deux heures plus tard, Yves Taron confirme que le corps est bien celui de son fils.

(retronews.fr)


L’affaire de l’Etrangleur commence 

A partir de 22h00, les radios se focalisent sur le meurtre du bois de Verrière, le nom de Luc Taron est cité et on parle de ce mystérieux « homme en bleu ». A 23h50 coup de téléphone anonyme à Europe N° 1 : « Aller vite rue Marignan, une lettre concernant l’affaire Taron est déposée sur le pare-brise d'une 2 CV. »

L’enveloppe glissée sous un essuie-glace est trouvée vers minuit :

« Message urgent ».

« Affaire du bois de Verrières.      
Après avoir demandé une rançon, qui m’a été refusée par le père du petit Luc, j’ai emmené celui-ci à Palaiseau. Je l’ai étranglé à 3 heures. C’est un avertissement pour le prochain rapt: la rançon ou la mort ! Voici les preuves que je suis bien le ravisseur : Luc portait une veste côtelée marron clair que j’ai gardée pour preuve en échange de la rançon. Luc portait un petit livre illustré et relié, « Histoire de Bugs ». Il m’a dit être né le 9 mai 1953 et que son père avait une voiture (une Ariane). Il avait du mercurochrome sur une jambe. Je l’ai trouvé au métro Villiers. L’homme vu à 5 heures du matin est hors de cause et c’est pour cela que j’écris ce papier ».

XXXXX  l’Etrangleur n° 1»

On ne gardera que le sobriquet sans le numéro.

Les premières constatations de l’autopsie montrent que l’enfant est mort à demi étranglé, à demi asphyxié, une main qui lui serrait fortement le cou l’a maintenu face contre terre. Il a été tué dans la seconde moitié de la nuit.

56 lettres et messages de l’Etrangleur !

Le mystérieux corbeau va inonder les policiers, les journalistes de messages, de lettres, de cartes roses et appels téléphoniques, adressés à l’AFP, Europe N°1, Radio-Luxembourg, y compris au ministre de l’Intrérieur et à Léon Zitrone, mais son média préféré est Paris-Presse.

Le 29 mai, un appel téléphonique est envoyé à l’AFP pour redonner les précisions que contenait sa première lettre ; puis, le 6 juin, l’Etrangleur précise par lettre qu’il tuera un autre enfant si France-Soir ne lui verse pas une rançon de 50 millions d’anciens francs.

Le lendemain, il écrit au commissaire Samson qu’il a déposé le livre de Luc, un Bug’s Bunny, sur une banquette du métro Porte-de-Clignancourt ; le paquet sera trouvé le lendemain.

Le 13 juin, on en est à la 28e lettre !

Polémique avec M. Taron : celui-ci dit qu’il n’a jamais reçu de demande de rançon, ou bien le traite de « piètre détective » lorsqu’il prétend que jamais Luc ne l’aurait suivi sans être forcé. L'ignominie va jusqu'à écrire au père de Luc : « vous êtes triste, vous avez perdu votre enfant, mettez-vous à ma place, vous n’avez pas vu ces grands yeux innocents se fermer quand je lui serrais le cou. »

"Oui, c'est moi qui me suis servi de la voiture de Léger. Le corps est à Corbeil…"

Puis le commissaire Poilblanc enquête sur une 2 CV volée

La police établit une liste de 200 suspects ; elle arrête l’un d’entre eux sur la base d’un article écrit pour un journal de province, mais il est vite relâché.

Un dénommé M. Richet avait fait part d’une conversation avec un inconnu tenant des propos identiques à ceux de l’Etrangleur. Un portrait robot de l’inconnu est publié ; l'Etrangleur s'empresse d'envoyer un message dès sa publication : « Changez quelques détails – je ne vous dirai pas lesquels – et ce sera moi… »

La police piétine ainsi jusqu’au 1er juillet 1964. Le 27 juin, un certain Lucien Léger avait déclaré au commissariat des Invalides que sa 2 CV avait été volée. Ce 1er juillet, cette même personne téléphone à la rédaction de Paris-Presse pour leur apprendre que l’Etrangleur lui avait volé sa 2 CV. « Etes-vous au courant d’un vol de voiture ? C’est une affaire liée à celle de l’Etrangleur. C’est très sérieux. Je m’appelle Lucien Léger, j’habite boulevard de Latour-Maubourg. »

Le reporter Michel Rigaud rencontre le lendemain matin Lucien Léger à son domicile, une chambre dans un hôtel, 102, boulevard de Latour-Maubourg ; une chambre avec un coin-cuisine, un cosy, une clarinette, une guitare, des photos de musiciens de jazz au mur.

Il propose lui-même d’aller au journal avant de se rendre au commissariat où il a rendez-vous.

Paris-Presse publie l’interview : l’Etrangleur s’est servi de la 2 CV de Lucien Léger, infirmier à l’hôpital de Villejuif ; il y a des traces de sang sur la banquette arrière. C’est l’assassin lui-même qui l’a appelé au téléphone pour lui indiquer l’endroit où il peut reprendre sa voiture à Viry-Chatillon. Il l’avait empruntée "pour un règlement de comptes à Pigalle".

La police croit à une fausse piste quand le 56e message est publié : « Monsieur Rigaud,

[…] On n’a pas l’air de me prendre très au sérieux bien que je donne des détails comme dans l’affaire Taron. La 2 CV Citroën avait pour numéro 9430 DS 75. De plus, sur le pare-soleil, il y avait la photo d’un enfant avec un chiffre. […] C’est avec un marteau que j’ai fracassé le crâne d’un homme. La suite vous devez la connaître. La victime n’était pas morte quand je l’ai abandonnée. Hier, j’ai tenté d’enlever un enfant comme Luc mais j’ai échoué. A bientôt. XXXXX ? L’Etrangleur »

Dans une lettre pour Radio-Luxembourg, il précise que sa « victime » est un truand de Pigalle.

Il revient à la rédaction de Paris-Presse vendredi 3 juillet à 19h00. Rigaud n’étant pas là, il a affaire à une collaboratrice à laquelle il montre les traces de sang sur la 2 CV.

(retronews.fr)


« M. Léger, qui a procédé lui-même à une analyse des taches de sang, a été entendu ce matin par les enquêteurs. Il est peu probable que son témoignage éclaire beaucoup l’enquête » écrit le journaliste de Paris-Presse.

Le 4 juillet au matin, Léger est entendu au 3e étage du 36, quai des Orfèvres par le commissaire Poilblanc. Celui-ci est surpris par cet homme trop prolixe, trop soucieux de bien présenter, et par ses dérobades. Lucien Léger est embarrassé lorsque le commissaire essaie de comprendre pourquoi il a analysé lui-même les taches de sang ; Poilblanc se demande aussi pourquoi un voleur se serait intéressé à une vieille 2 CV. Enfin, aucun meurtre de truand n’a été signalé, aucun cadavre n'a été découvert à Paris ou dans la région.

Le commissaire demande alors à celui qui est encore plaignant un échantillon de son écriture.

Le plaignant est devenu suspect ; une perquisition est décidée pour l’après-midi au 102, boulevard de Latour-Maubourg. Perquisition fructueuse, les enquêteurs découvrent des feuilles de papier identiques à celles utilisées par le corbeau, trois exemplaires du Daily Express, et surtout le portrait robot publié par Paris-Presse, retouché avec le pinceau et les tubes de gouache.

Pour terminer l'inventaire, un calibre 6.35mm, un photomaton le représentant braquant le revolver sur l’objectif et l’ébauche d’un roman, Journal d’un assassin.

Le commissaire Bacou et le portrait retouché

Deux aveux successifs

Le commissaire Poilblanc a recueilli assez de preuves pour remettre le suspect à ses collègues de la 1e brigade (le SRPJ, ex Sûreté nationale). L’interrogatoire mené par les commissaires Camard et Bacou dure toute une nuit ; à 7h30 du matin le 5 juillet, Lucien Léger passe aux aveux, c’est lui l’auteur des messages.

« Dans la matinée qui a suivi le crime, lorsque j’ai été au drugstore des Champs-Elysées, pour acheter des livres, j’ai trouvé à mon retour une lettre dans ma voiture. Un inconnu s’excusait d’avoir tué un gosse. Je n’y avais pas fait attention : puis j’ai réalisé lorsque j’ai lu le meurtre du petit Luc dans les journaux. Alors, l’idée m’est venue d’écrire à mon tour. »

Il fait alors alors un geste étrange et révélateur : « Tenez messieurs : vous garderez un souvenir de l’Etrangleur… », et il remet un autographe à chacun des policiers...

Les policiers sont persuadés que l’auteur des messages est aussi le meurtrier ; il y a dans les messages trop de détails que seul l’assassin peut connaître.

Deux heures plus tard, ce dimanche, Léger passe aux aveux complets :

 « Le 26 mai, j’avais terminé mon travail à 22 heures. J’ai laissé ma voiture devant mon domicile. J’ai pris le métro jusqu’à l’Etoile : je voulais aller au Drugstore. C’est à cette station que j’ai vu l’enfant. Il est descendu à Villiers, je l’ai suivi et je l’ai abordé.     
Luc a accepté de me suivre. Il m’a dit qu’il était malheureux chez lui, qu’il ne voulait pas rentrer. Je lui ai proposé d’aller au cinéma dans le quartier, mais toutes les salles étaient fermées. Alors je lui ai demandé s’il voulait venir à la campagne avec moi. Il m’a donné son accord.           
Nous avons repris le métro jusqu’à Latour-Maubourg. J’ai repris ma 2 CV et nous sommes partis. Nous sommes arrivés au bois de Verrières vers 3 heures du matin. C’est là qu’il m’a demandé de descendre pour satisfaire un besoin. Il m’a demandé s’il y avait des loups, je lui ai répondu que non et il est entré dans le bois. C’est là que, pour la première fois, j’ai éprouvé le besoin de tuer».

La vraie vie de Lucien Léger

Il est né en 1937 dans une famille modeste des Ardennes où il y eut sept enfants.

Son père a 55 ans au moment des faits, il est ajusteur. Il dit de son fils que c’était un bon garçon un peu falot ; son fils le décrit comme brutal, le traitant souvent de bon à rien. L’Etrangleur écrira ce message terrible à propos de Luc et de lui-même : « Son père le battait, il l’aurait battu s’il était revenu. Il est mieux là où il est. » « Moi aussi je m’étais enfui et chaque fois que je revenais, j’avais peur »

Les parents et le frère

Des études courtes : il est titulaire de son certificat d’études et d’un CAP. Un premier emploi à Revin puis c’est le service militaire qu’il passe en Algérie, à Colomb-Béchar. Alors qu’il est de garde, il est victime d’une grave insolation qui entraîne son rapatriement et son hospitalisation pendant deux mois au Val-de-Grâce.

Soldat à Colomb-Béchar, clarinettiste, avec ses parents, avec des amis
L'homme qui ne sourit jamais (Paris-Presse, retronews.fr).


Il fréquente le conservatoire municipal Darius-Milhaud du XIVe arrondissement ; il y fait la connaissance de la comédienne Douchka avec qui il se lie d’amitié. (Douchka tiendra des propos froids dans Paris Jour et ensuite acerbes dans Détective. Elle ne se présentera pas au tribunal où elle  sera convoquée).

En mai 1959, il a épousé la sœur d'un copain, Solange, qui a fait ses études à l’école normale de Lyon et il a trouvé un emploi d’emballeur chez l’éditeur Denoël. Quelques années plus tard, Solange présente d’inquiétants signes de dérangement mental, elle est internée plusieurs fois. Alors qu’ils habitent à l’hôtel du boulevard Latour-Maubourg, les autres pensionnaires l’entendent crier « Au secours » par la fenêtre ; elle est à nouveau internée. Il décide alors de quitter son emploi pour devenir infirmier, il passe le diplôme en octobre 1963 et est employé à l’hôpital de Villejuif où sa femme est internée. « Sans l’affaire Taron, il serait devenu infirmier chef » dit son chef de service.

Et puis arrive la rencontre dramatique avec le petit Luc dans le métro.

Je voudrais que le vent      
Souffle, souffle, très fort     
Emportant loin de moi        
Même mon avenir

Tous m’ont abandonné       
Moi qui n’était qu’amour  
Ils ne m’ont rien donné si ce n’est que le jour

La vie inventée de Lucien Léger

Il est évident que Léger refuse ce qu’il est, sa famille, son père, qui était surnommé « le Niais », son enfance ; il ne souriait jamais à l’école. Il est intelligent mais lui se croit un génie qui n’est pas né au bon endroit et il fera tout pour effacer cette tache originelle.

Son copain de régiment, Gérard Vincent, est interviewé par Paris-Presse ; il le dit parfois charmant, parfois froid, distant, « il aimait alors employer des mots auxquels on était pas habitués », « il racontait que son père était un personnage haut placé à Paris, qu’il comptait beaucoup d’amis dans la gendarmerie, ou qu’il faisait partie de comité de lecture d’une grande maison d’édition».

S’il est magasinier, ce n’est pas n’importe où mais chez un éditeur de renom ; il lit Kant ou Nietzsche, beaucoup d’ouvrages sur la psychanalyse, la psychologie.

Il écrit des poèmes, inspirés de Baudelaire ou Verlaine, les enregistre sur disque et les fait éditer à compte d’auteur. Sans aucun succès.

Et ce texte glaçant, qui donnera son titre au livre de Philippe Jaenada : « J'avance dans la rue après avoir tué le plus seul des innocents passants. Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres ».  

C’est dans la peau de l’Etrangleur que Léger va donner libre cours à sa folie mythomaniaque : il est fils de haut-fonctionnaire, il est tueur de l’OAS, un as du judo, il a une très importante situation, « J’ai une instruction secondaire maximum d’un niveau supérieur » ; il se prétend même être le cousin de Fernand Léger.

Léger inculpé

Le 6 juillet, Lucien Léger est inculpé et va passer sa première nuit en prison.

Il y a alors cette image incroyable, si révélatrice, de l’inculpé face aux journalistes qui sourit, salue de la main. « A la télévision, l’image effarante de cet homme banal qui, au fond de la voiture policière, salue de la main son public, et dresse le pouce victorieusement » (Jean Vermorel).

Maître Maurice Garçon, défenseur de Henri Girard, alias Georges Arnaud, René Hardy, ou de l’éditeur Jean-Jacques Pauvert, doit assurer sa défense mais il finit par se désister (tout comme dans l’affaire Pauline Dubuisson, cf. 42) ; la défense sera finalement assurée par Albert Naud, ardent militant de l’abolition de la peine de mort.

Déféré au parquet de Versailles, Léger est assailli par une foule déchaînée, qui crie : « Tuez-le ! Tuez-le ! »

L’instruction est assurée par le juge Seligmann ; elle va durer deux ans au cours de laquelle, lors d’une reconstitution, Léger se rétracte : il est bien l’Etrangleur, l’auteur des messages mais pas celui du crime du bois de Verrières.

Le procès s’ouvre le 3 mai 1966 devant les assises de la Seine-et-Oise à Versailles. Une grande tension dans la salle et aux alentours. Les jurés découvrent l’homme qui a fait trembler la France pendant près de quarante jours : un petit homme falot, le regard éteint, vêtu d’un costume d’alpaga gris ; mais Lucien Léger a de nouveau l’occasion de se mettre dans la lumière des médias, d’être la vedette.

Dès l’ouverture, il donne sa nouvelle version : « J'ai reçu un coup de téléphone dans la journée du 27 mai 1964 d'un nommé Henri, qui m'a raconté avoir tué Luc par vengeance contre son père. Ce n'est qu'ensuite que j'ai joué le rôle de l'Etrangleur. » 

Le président Braunschweig"Enfin Léger, qui est cet Henri ? - Je parlerai peut-être dans cinq jours..."

La description détaillée du crime dans le premier message ? « C’est Henri qui m’a tout raconté»

Pourquoi a-t-il avoué ? « Je pensais que le meurtrier ferait quelque chose pour moi»

A la fin du procès, le président l’adjure de dire l’identité de ce mystérieux Henri : « Je ne veux pas dénoncer le véritable assassin car il n'a pas commis ce crime volontairement»

A la veille du dernier jour d’audience, Léger écrit une lettre au président qui est lue le lendemain : « Face au pays qui me regarde et qui me somme de donner des précisions, je vous dis que je ne peux rien dire pour l'instant. (...) Je parlerai après le réquisitoire et les plaidoiries»

La partie civile demande la peine de mort. L’avocat général écarte la préméditation et ne voit qu’une seule alternative : l’asile ou la peine capitale.

Me Albert Naud ne cache rien de ses difficultés : « J'ai l'impression d'être inutile pour la première fois de ma carrière, confesse-t-il, je cherche l'homme mais il se cache toujours derrière le personnage ». Il invoquera le folie de son client. 

Le 7 mai, après deux heures de délibéré, le jury accorde des circonstances atténuantes à l’accusé qui est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Léger s’écrie alors : « Monsieur le président, vous venez de commettre une erreur judiciaire ! M. Taron connaît-il Georges-Henri Molinaro ? »

- Pourquoi parlez-vous si tard ?lui demande le président.

- C’est pour prouver qu’on fait des erreurs judiciaires en cour d’assises ( !) Georges-Henri Molinaro est commissaire à la DST. Il habite rue de Rennes, dans le 6e.

Policiers et journalistes partent enquêter rue de Rennes. Pas de Georges-Henri Molinaro.

Le plus vieux détenu de France

Léger va passer 41 ans en prison, dans une quinzaine d’établissements différents.

Solange meurt en 1970, Léger ne sera pas autorisé à assister à ses obsèques.

Quinze années de sûreté avaient accompagné sa condamnation. Il est libérable en 1979. Yves Taron, fondateur de la Ligue nationale contre le crime et pour l'application de la peine de mort, avait affirmé en 1980 : « Je le tuerai. Pas tout de suite, juste le temps de lui faire éprouver l'angoisse que ma femme et moi avons connue».

Il est finalement libéré le 3 octobre 2005 (après le mort d’Yves Taron) ; la mère de Luc demande que Léger ne publie jamais de livre sur l’affaire.

Lucien Léger meurt à son domicile de Laon début juillet 2008, son corps ne sera découvert que le 18 juillet.

Léger retrouve les médias ….

(radiofrance.fr – ladepeche.fr)


Un immense besoin de reconnaissance

Narcissique, mythomane, affabulateur et manipulateur.

Pour Jean Vermorel, de Paris-Presse, la publicité est bien le facteur essentiel de l’affaire : « Je suis le CELEBRE Etrangleur. »

Faire la une des journaux ne suffisait pas à satisfaire son besoin de reconnaissance, il devait se faire connaître et c'est pourquoi  il se jette dans les bras de la police, « l’épilogue à quarante jours de gloire journalistique anonyme. » Il est arrivé à ses fins et il n’a plus qu’à enfin sourire et saluer les journalistes et la caméra après son inculpation. « Il fallait qu’on l’arrêtât pour que Lucien Léger assumât le seul rôle de sa vie».

Il est effrayant de penser qu’il aurait étouffé le petit Luc, non par pulsion, mais pour échapper à l’anonymat, à ses frustrations et à la médiocrité de son existence.


A lire :

Les articles de Paris-Presse dans retronews.fr

IX. 27.05.1964. IL Y A 50 ANS, L'ETRANGLEUR EST PARMI NOUS | Le Club (mediapart.fr)

Lucien Léger, « l'étrangleur » - certitudes (eklablog.com)

Lucien Léger aux assises : les quarante jours de l'Etrangleur (lemonde.fr)

Le printemps des monstres, Philippe Jaenada (ed. Mialet-Barrault, 2021)

"P.S. Je n'ai pas dit cinquième au "Daily Express". J'ai dit quatrième. Le cinquième est de samedi soir." (Paris-Presse 5 juillet 1964)

Certains messages prennent une autre tournure : le 21 juin à l’AFP : « j’ai bombardé l’autoroute du Sud avec des pavés. » Le 23 juin, il envoie un roman de la Série noire au commissaire Samson et, le lendemain, un vieux chapeau ; ce serait celui d’un clochard qu’il aurait poussé dans la Seine.

Le 30 juin, il va jusqu'à défier effrontément Scotland Yard dans un article paru dans le Daily Express intitulé : « Je suis le CELEBRE Etrangleur ».