46 - 11 mars 1944 :gros feu de cheminée rue Lesueur : Le docteur Petiot
21, rue Lesueur
Chapitres :
Jeunesse de Marcel Petiot
Il est né à Auxerre en 1897, fils d’un receveur des Postes et d’une mère au foyer.
C’est un enfant précoce, doué d’une grande intelligence ; à cinq ans, il lit comme un enfant de dix ans. Sa précocité se manifeste aussi dans la violence et la perversion, il tire au revolver dans le plafond de la classe, distribue des images obscènes en cours, torture des chats. Un triste événement n’arrange pas son déséquilibre : sa mère, internée à l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, meurt alors qu’il n’a que douze ans (son frère cadet, Maurice, mourra à Charenton en 1947).
Il est renvoyé de plusieurs écoles pour indiscipline ; à dix-sept ans, il est arrêté pour avoir fracturé des boîtes à lettres.
Il devance l’appel en 1916 mais est envoyé en prison militaire pour vol de couvertures dans l'hôpital où il est soigné après une blessure par grenade. Il est réformé en 1918 pour troubles psychiatriques.
Maire de Villeneuve-sur-Yonne
Intellectuellement doué et profitant des avantages donnés aux anciens combattants, il est diplômé de la Faculté de médecine de Paris en 1921.
L’année suivante, il ouvre un cabinet médical à Villeneuve-sur-Yonne, où il devient rapidement populaire en offrant aux indigents consultations et vaccinations.
Tous ses antécédents n’empêchent pas qu’après avoir été conseiller municipal de la ville, il est élu maire de Villeneuve en 1926 !
Il épouse le 4 juin 1927, Georgette Valentine Lablais.
Ses démons ne l’ont pas quitté pour autant. Il continue à voler, profane un cimetière, collectionne chez lui des bocaux remplis de viscères ; il est cité devant les tribunaux pour plusieurs délits, tels que fausses déclarations à l’assurance maladie.
Il est logiquement démis de ses fonctions de maire mais réussit à se faire élire conseiller général, avant d’être privé de son mandat pour avoir trafiqué son compteur électrique.
Ses frasques le poussent à l’internement psychiatrique mais son cynisme le poussera même à utiliser à son avantage cette péripétie ; il fait écrire sur sa plaque : «Marcel Petiot, ex interné des hôpitaux de Paris» que tout le monde lira ex interne …
A Paris
Sa mauvaise réputation devient telle qu’il doit quitter Villeneuve/Yonne, et ce, d’autant plus que leur domestique Louisette a disparu sans laisser de traces. Petiot et sa femme s’installent à Paris en 1933.
Il établit son cabinet médical au 66, rue Caumartin.
Sa kleptomanie continue : en 1936, il est arrêté pour vol à l’étalage à la librairie Joseph Gibert. Déclaré aliéné mental, il est interné pendant sept mois, puis reprend tranquillement ses consultations.
En août 1941, il fait l’acquisition de l’hôtel particulier 21, rue Lesueur, au nom de son fils. Et là, il fait des aménagements : surélever le mur mitoyen, aménager un cabinet médical, une pièce dont la porte est équipée d’un judas, une cave munie de double portes et un puits (qu’on découvrira plus tard rempli de chaux vive).
La «filière pour l’au-delà»
A partir de 1942, il met en place une filière d’évasion vers l’Argentine. Les cibles ? tous ceux qui veulent échapper à la Gestapo et aux autres polices, les Juifs en particulier. Il crée un réseau de rabatteurs, dont un coiffeur, Raoul Fournier, et un artiste de music-hall, Edmond Pintard, qui, bien sûr, pensent sauver ces pauvres bougres, prêts à tout pour quitter la France. Ce bon docteur Petiot ne demande même pas d’argent à ses clients qui lui sont tant reconnaissants. Les fugitifs doivent se présenter rue Lesueur de nuit, avec une valise contenant bijoux, espèces et argenterie. Il procède ensuite de façon méthodique :
il y a d’abord la séance de maquillage …. Pour les mettre en confiance ou par pulsion macabre ?
Puis la piqûre («c’est un vaccin», dit-il)
Il laisse la victime dans le cabinet mais ne manque pas d’assister à l’agonie à travers l’œilleton
Il découpe le corps en morceaux qu’il met dans des sacs.
Il emporte les sacs dans la carriole accrochée à son vélo et disperse les restes aux quatre coins de Paris
2 janvier 1942, Joachim Guschinow est la première victime, un fourreur juif qui aurait apporté une somme conséquente en diamants.
Petiot s’en prend aussi aux familles, auxquelles il propose un tarif de groupe, à toute personne aux abois, ainsi qu'à ceux qui pourraient dénoncer les activités du docteur et à des collabos traqués par le Résistance.
Un indicateur met les Allemands sur la piste du réseau ; Petiot est arrêté, emprisonné pendant 7 mois à Fresnes, où il est torturé, parfois d’une manière horrible (on lui lime les dents). Pourquoi est-il libéré au bout de 7 mois ? Cela reste un mystère.
Libéré en janvier 1944, l’assassin décide alors de faire disparaître toutes les traces de ses crimes, de se débarrasser des cadavres. Plus question d’une simple dispersion des restes ; incinérer les corps dans la chaudière est la solution.
La chaudière s’emballe : des panaches de fumée noirâtre obscurcissent le ciel de la rue Lesueur, les voisins s’inquiètent des odeurs pestilentielles.
Le capitaine Valéry
Les pompiers sont alertés le 11 mars 1944. La maison étant inoccupée, ils cassent un carreau et découvrent dans la cave, le charnier, les corps dépecés.
Alerté, Petiot ne prend pas la fuite ; il arrive et, avec beaucoup d’aplomb, se présente comme le frère du propriétaire. Il va faire croire que ce sont des collabos qui ont été exécutés et demande aux pompiers et policiers toute la discrétion nécessaire. On le laisse repartir en vélo et il disparaît.
A la Libération, un mandat d’arrêt est lancé ; l’enquête va permettre de retrouver des rabatteurs mais lui reste introuvable.
Le Réveil du Nord, 21 mars 1944 (retronews.fr)
Un commissaire inspecte un des deux calorifères – Evacuation d’un corps
En septembre 1944, Jacques Yonnet, lieutenant à la DGER, Direction générale des études et recherches, a l’idée de publier un article provocateur dans un journal, Résistance, intitulé «Petiot, soldat du Reich». Yonnet mise-t’il sur la mégalomanie du docteur psychopathe ? Le piège fonctionne ; piqué au vif, Petiot répond dans une lettre manuscrite. L’analyse comparative de l’écriture mène les enquêteurs sur la piste du capitaine Valéry, officier FFI, médecin-capitaine affecté à la caserne de Reuilly, chargé de l’épuration des traîtres et des collaborateurs !
Le capitaine Valéry
Petiot est arrêté le 31 octobre 1944, incarcéré à la Santé. Dans l’attente de son procès, il écrit un livre sur les probabilités (il dédicacera son livre lors de suspensions d’audience à son procès !).
Procès et exécution
L’instruction est longue car il ne comparaît devant les assises de la Seine qu’en mars 1946.
Il est accusé de 27 assassinats ; Petiot en revendique 63, en affirmant qu’il s’agit de traîtres, de collaborateurs et d’Allemands ; c’est un grand résistant. On lui rappelle qu’on a retrouvé un pyjama d’enfant dans les affaires dérobées.
Tout comme Landru, aucun remords, aucune repentance ; ce n’est pas le box des accusés mais une estrade. Désinvolte et cynique, il va même jusqu’à dire à son avocat qu’ils font un four, un jour où il y a un peu moins de monde que d’habitude. Ou bien, il s’endort.
L’expertise mentale le considère «supérieurement intelligent, de volonté forte, nettement pervers et immoral», mais conclut à sa pleine responsabilité.
Il est condamné à mort pour vingt-quatre meurtres.
À la suite de cette condamnation, Petiot partage son temps entre la lecture et la confection de broderies.
Au matin de l'exécution, il aura ces paroles «Je suis un voyageur qui emporte ses bagages», tout comme Landru avait dit à son avocat qui le pressait d'avouer ses crimes : «Cela, Maître, c'est mon petit bagage... ».
Il est guillotiné le 25 mai 1946, à 5 heures 07, dans la cour de la prison de la Santé. Il meurt avec détachement, un sourire aux lèvres.
La fortune amassée par Petiot est restée introuvable. Plusieurs personnes rachetèrent son hôtel particulier du 21 rue Le Sueur et le fouillèrent dans son intégralité pour y trouver un magot, en vain. Le bâtiment sera détruit et remplacé par un immeuble neuf dans les années 1950.
Rue Lesueur, on a découvert 72 valises et 655 kilos d'objets divers dont 21 manteaux de laine, 90 robes, 120 jupes, 26 sacs à main, 28 complets d'hommes, 33 cravates, 57 paires de chaussettes, 43 paires de chaussures, une culotte de pyjama d'enfant appartenant au jeune René Kneller, disparu avec ses parents.
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