04 : La Musique aux Tuileries – Manet (1862)

Édouard Manet

Manet est, avec Pissarro, l’un des plus anciens des peintres dit « impressionnistes », il est né le 25 janvier 1832 5, rue des Petits-Augustins (rue Bonaparte), fils d’un fonctionnaire du ministère de la Justice. Son oncle Fournier l’initie en l’emmenant plusieurs fois au Louvre avec son ami Antonin Proust pour voir la collection royale d’art espagnol (qui sera rendue à l’Espagne après le renversement de Louis-Philippe), une influence majeure dans son oeuvre.

Il refuse de suivre des études de droit, échoue à la carrière d'officier de marine et finit par s’inscrire à l’école des Beaux-Arts, puis à l’atelier de Thomas Couture, l’auteur d’une des œuvres académiques les plus abouties, Les Romains de la Décadence.

1860, musée d’Orsay


Manet, peintre impressionniste ?

Pas vraiment car il se distingue de ses jeunes amis par une facture soucieuse du réel qui utilise peu les effets de couleur et le traitement de la lumière chers à Monet ou Renoir. En revanche, il leur montre la voie dans la mesure où il représente des scènes de la vie contemporaine, des aperçus de la vie réelle à Paris débarrassés de tout sentimentalisme, déconcertant le public de son époque (cf.05). La Musique aux Tuileries en est le premier exemple dans sa production.


La Musique aux Tuileries

1862, National Gallery


C'est l’univers huppé et raffiné dans lequel évolue Manet.

Le palais des Tuileries est occupé par la famille impériale ; le jardin est un haut lieu de la vie parisienne, très fréquenté par la bourgeoisie et l’aristocratie. Familial dans la journée et, le soir venu, parcouru par les prostituées en quête de clients aisés. Les allées sont donc une vitrine de la mode puis un espace de plaisir et de polissonnerie.

« Un jardin peuplé de son monde mais qui ne se reconnaît guère dans ce foisonnement de couleurs et cette alternance de blanc et de noir. Un chatoiement de couleur là où on attendait le portrait d’une élégante assemblée. Un monde froufroutant, futile et raidi dans sa dignité.

Désordre de chaises, d’ombrelles ouvertes, des enfants qui jouent, mas pas de musiciens en dépit du titre ; il leur tourne le dos et fait un spectacle des spectateurs. »

Bien sûr, pas de modèle professionnel, Manet a placé sa famille et ses amis dont voici la liste selon La Musique aux Tuileries (1862) – The Ark of Grace

1. Édouard Manet

2. Comte Albert de Balleroy, compagnon d’atelier d’Édouard

3. Champfleury, critique d’art et écrivain

4. Eugène-Cyrille Brunet, sculpteur

5. Peut-être Auguste Manet, le père d’Édouard

6. Caroline Brunet, née Pène

7. Zacharie Astruc, critique d’art (déjà présente dans L’Atelier de Bazille, cf.03)

8. Henri Fantin-Latour

9. Valentine Lejosne, d’Hippolyte Lejosne chez qui Manet fit la connaissance de Baudelaire

10. Charles Baudelaire

11. Théophile Gautier

12. Baron Taylor, grand mécène

13. Marianne Offenbach

14. Frédéric Bazille

15. Peut-être Suzanne Leenhoff, qui deviendra madame Manet l’année suivante (cf.12)

16. Léon Koella-Leenhoff, dix ans, fils naturel de Suzanne (cf.12)

17. Eugénie Manet, la mère du peintre

18. Eugène Manet, le frère du peintre

19. Jacques Offenbach

20. Charles Monginot, peintre, lui aussi élève de Thomas Couture


L’audace du tableau fait sensation (en attendant les scandales du Déjeuner sur l’herbe et d’Olympiacf.05), c’est le premier tableau d’une réunion mondaine actuelle en plein air.

L’essayiste Paul de Saint-Victor : « Son concert aux Tuileries écorche les yeux comme la musique des foires fait saigner l'oreille». Hippolyte Babou parle de la « manie de Manet de voir par taches (...) la tache-Baudelaire, la tache-Gautier, la tache-Manet».

Baudelaire lui-même juge sévèrement le tableau, ce à quoi Zola répond :

« Le Ballet Espagnol et La Musique aux Tuileries furent ceux qui mirent le feu aux poudres (au Salon). Un amateur exaspéré alla jusqu’à menacer de se porter à des voies de fait, si on laissait plus longtemps dans la salle de l’Exposition La Musique aux Tuileries. Je comprends la colère de cet amateur : imaginez, sous les arbres des Tuileries, toute une foule, une centaine de personnes peut-être, qui se remuent au soleil ; chaque personnage est une simple tache, à peine déterminée, et dans laquelle les détails deviennent des lignes, des points noirs.

Si j’avais été là, j’aurai prié l’amateur de se mettre à une distance respectueuse ; il aurait alors vu que ces taches vivaient, que la foule parlait et que cette toile était une des œuvres caractéristiques  de l’artiste, celle où il a le plus obéi à ses yeux, à son tempérament».

La Musique aux Tuileries fait date 

C’est le premier modèle de toutes les peintures impressionnistes et post-impressionnistes qui représentent la vie contemporaine en plein air.

Une composition qui inspira Bazille, Monet et Renoir. Sa postérité sera immense.