34 : Un bar aux Folies-Bergère – Manet (1882)
32, rue Richer
Un bar aux Folies-Bergère - Courtauld Gallery London 1882
Georges Jeanniot (1907) : « le modèle, une jolie fille, posait derrière une table chargée de bouteilles et de victuailles. […] Manet, bien que peignant ses tableaux d’après le modèle, ne copiait pas du tout la nature : je me rendis compte de ses magistrales simplifications. La tête de la femme se modelait, mais son modelé n’était pas obtenu avec les moyens que la nature montrait. Tout était abrégé, les tons étaient plus clairs, les couleurs plus vives, les valeurs plus voisines. Un ensemble d’une harmonie tendre et blonde. […] Manet cessa de peindre pour aller s’asseoir sur le divan, contre le mur de droite. C’est alors que je vis combien la maladie l’avait éprouvé. Il marchait appuyé sur une canne et semblait trembler. Il restait tout de même gai et parlait de sa guérison prochaine »
C’est la dernière œuvre majeure de Manet avant sa mort, le 30 avril 1883.
Si la scène est, comme souvent chez le peintre reconstituée en atelier, Suzon, le modèle, est bien la barmaid du célèbre café-concert. Coiffure « à la chien », médaillon au cou, cordon noir et regard appuyé, proche de celui de Victorine Meurant dans Olympia (cf.05).
Une composition classique en pyramide où la base, flacons, coupes et bouteilles, fleurs et fruits, trouve son sommet dans les fleurs du corsage et le visage de la jeune femme.
Dans le vaste miroir se reflète toute l’activité chatoyante et bruyante de la salle des Folies-Bergère, haut lieu de la galanterie où même les femmes du monde ne répugnaient pas s’y montrer. Manet aimait s’y rendre, comme beaucoup de ses amis. On peut reconnaître Ellen Andrée (en cape) qui figure dans Au Café et que Degas avait fait poser dans L’Absinthe (cf.22).
Ce tableau est ainsi à la fois nature morte, portrait et plan général. Ce à quoi il faut ajouter une touche d’étrangeté avec, sur la droite, le reflet des deux personnages, la barmaid qui se penche vers son client : l’écrivain décadent Huysmans y voit une erreur d’appréciation, le tableau « stupéfie les assistants qui se pressent en échangeant des observations désorientées sur le mirage de cette toile » ; il est probable que Manet a voulu représenter dans le même tableau deux moments successifs de la relation entre la barmaid et le client.
En dépit de sa hardiesse, « Le Bar des Folies Bergère » va être encensé par la critique et le public lors de présentation au Salon.
Edouard Manet, très affaibli, s’éteint le 30 avril 1883 à son domicile, 39, rue de Saint-Pétersbourg à l’âge de 51 ans, des suites d’une ataxie locomotrice, maladie neuromusculaire résultant d'une syphilis.
Zola : « Nous trouvons dans Edouard Manet un homme d’une amabilité et d’une politesse exquises, d’allure distinguée et à l’apparence sympathique. L’artiste nous a avoué qu’il adorait le monde, et qu’il trouvait des voluptés secrètes dans les délicatesses parfumées et lumineuses des soirées »
Baudelaire : de onze années son aîné, le premier à admirer son travail, « Celui-là serait le peintre de la modernité, qui saurait nous faire voir et comprendre combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et bottes vernies. »