47 : Samedi 3 juillet 1971 – La mort de Jim Morrison
17, rue Beautreillis (12e)
Lundi 5 juillet 1971, une rumeur court à Los Angeles, Jim Morrison, le chanteur des Doors, serait mort à Paris. Ray Manzarek, organiste du groupe, n’en croit pas ses oreilles et, dès le lendemain, Bill Siddons est sur place. Bill est le manager des Doors, le plus grand groupe de rock des Etats-Unis qui vient d’accumuler disque d’or sur d’or entre 1967 et 1970.
Sommaire :
Procès pour comportement indécent
Jim, de 1943 à 1965
James Douglas Morrison est né en 1943 à Melbourne, Floride. Sa mère, Clara, est fille d’un avocat devenu un temps bûcheron en Alaska. Steve, son père, est officier de l’US Navy. James est l’aîné de trois enfants, tous élevés de façon rigoureuse, aussi bien chez les parents que les grand-parents à la morale victorienne.
Le mot qui caractérise la famille Morrison ? Déménagement. Pour suivre les différentes affectations et missions du père, Jim, à onze ans, en est à son huitième déménagement : Floride, Californie, Washington ou Albuquerque. C’est d’ailleurs sur la route de Santa Fe à Albuquerque qu'il va être le témoin, à quatre ou cinq ans, d’une tragédie qui sera « le moment le plus important de ma vie » : un camion retourné sur la route et des Indiens Pueblo blessés et mourants sur l’asphalte. Steve s’arrête pour apporter son aide et Jim veut l’accompagner, « Indiens éparpillés sur la grande route à l'aube, sanguinolents/des fantômes qui s'attroupent dans l'esprit du jeune enfant, fragile comme une coquille d'œuf », voilà comment il en témoigne dans la chanson Peace Frog.
Conséquence des déménagements, Jim développe un caractère particulier : il se lie peu avec ses camarades, est instable, turbulent voire violent, asocial.
C’est un élève plutôt brillant, intelligent (Q.I. évalué à 149) qui peut aussi avoir de bonnes manières, être courtois, tout en étant familierdes fanfaronnades, des chahuts et des grossièretés. Et c'est un grand lecteur : à quinze ans, il découvre Sur la Route de Jack Kerouac, puis c’est Rimbaud, James Joyce, William Blake, les poètes de la « beat generation » mais aussi Plutarque ou Nietzsche. « tout ce qu'il lisait était tellement décalé qu'il fallait vérifier si les livres cités par lui existaient». Il commence même à écrire avec Baudelaire pour principale influence.
Au lycée, deux cours l’intéressent particulièrement : « psychologie de la contestation » où sont étudiés Montaigne, Rousseau, Sartre, Heidegger et « psychologie des foules », inspiré de l’ouvrage de Gustave Le Bon, dont il va beaucoup s’inspirer lors de concerts, parfois mémorables.
1964 : UCLA (University of California, Los Angeles) : il a choisi le département cinéma, un domaine avec lequel il flirtera jusqu’à sa mort. Renoir, Josef von Sternberg ou Stanley Kramer y enseignent. C’est à partir de cette époque que l’alcool et les substances hallucinogènes entrent vraiment dans sa vie ; il s’intègre dans un groupe d’étudiants parmi les plus explosifs, avec Dennis Jakob, le futur assistant de Coppola pour Apocalypse Now, Phil Onello, autre grand lecteur ou Felix Venable, l’étudiant le plus vieux du département à 34 ans, amoureux de l’alcool et des amphétamines.
Cette même année, le capitaine Morrison, qui vient d’être affecté au Viet-Nam, a des vacances. Jim retrouve sa famille au complet, ce sera la dernière fois.
Sinon, chahut, graffitis, virées dans les quartiers chauds, alcool, LSD et autres drogues. Mais certains profs sont séduits par la personnalité de la future star. Mais son film de fin d’études lui vaut un médiocre « D », provoquant l’incompréhension et les rires chez les autres étudiants. Il en sera blessé.
UCLA et Venice Beach
Monter un groupe
Juillet 1965. Morrison avait déjà l’idée de monter un groupe de rock et d’en être le chanteur ; il a rédigé plusieurs textes de chansons, dont End of the Night, inspiré de Céline, et Moonlight Drive.
Rick & the Ravens – Ray Manzarek au temps des Doors
En juillet, il est sans emploi et vit sur le toit d’un entrepôt non loin de Venice Beach. C’est sur cette plage qu’il rencontre Ray Manzarek le 8 juillet ; Ray est né en 1939, études de piano au conservatoire, diplôme d’économie puis étudiant à l’UCLA, département cinéma lui aussi. Jim lui récite quelques-uns de ses textes, dont Moonlight Drive. Manzarek est frappé par la poésie du texte et lui propose de rejoindre le groupe Rick and the Ravens où il est organiste, ses frères Rick à la guitare et Jim à l’harmonica, Patricia Sullivan à la basse et Vince Thomas à la batterie.
Morrison leur propose un autre nom : The Doors, d'après un vers de William Blake « Si un jour les portes de la perception étaient purifiées, tout à l’homme apparaîtrait en sa vérité, infini. », qui donne le titre au livre d’Aldous Huxley, Les Portes de la Perception.
John Densmore – Aldous Huxley – Robby Krieger
Jim écrit ses intentions à ses parents, son père lui répond que c’est bidon. Il n’écrira plus à ses parents.
Rapidement, Vince quitte le groupe, de même que les frères de Ray, en désaccord avec la direction musicale. Ray suit un cours de méditation transcendantale que fréquentent John Densmore, batteur d’un autre groupe, ainsi que Robby Krieger, guitariste dans le même groupe. « Il n'y aurait pas eu les Doors sans Maharishi Mahesh Yogi » dira plus tard John Densmore.
Pat Sullivan quitte à son tour le groupe ; elle ne sera pas remplacée sur scène, Ray assurera les parties basse avec son orgue.
Février 1966, les Doors font leurs première armes dans un bar, The London Fog ; Morrison est encore timide, tourne le dos au public, chante à voix basse puis prend progressivement confiance, commence à se déhancher. En mai, ils signent avec le Whiskey a Go-Go, toujours à Los Angeles. Ils y jouent notamment les premières parties du groupe irlandais Them dont le chanteur Van Morrison n’a pas que le patronyme en commun mais aussi un penchant pour la boisson et une attitude provocatrice avec l’audience qu’adoptera souvent Jim.
Un soir d’août 1966, Jim, qui a avalé du LSD et inspiré par Freud, improvise des paroles sur un long morceau, The End : « Father. Yes son ? I want to kill you. Mother, I want to fuck you all night long ». Le patron est furieux et les vire avant même qu’ils aient le temps de finir le morceau.
Le chanteur des Doors commence à prendre son envol et le bouche à oreille fait le reste - « il faut que tu ailles voir les Doors au Whiskey, le chanteur est dingue». Ce même mois, le groupe signe avec la compagnie de disques Elektra.
Light My Fire
Le premier 33 tours des Doors sort en janvier 1967, accompagné d’un 45 tours avec le titre Break on Through. Les critiques sont peu enthousiastes et le 45 tours ne monte pas dans les charts.
Puis, quelques mois plus tard, Light My Fire sort à son tour en 45 tours et c'est parti pour les Doors. En peu de temps, il est n° 1 et le restera trois semaines, avant d’être détrôné par All You Need is Love, des Beatles. Changement radical, le groupe est acclamé, la presse séduite, en particulier par la qualité des paroles des chansons de Morrison (bien que Light My Fire ait été écrit par Robby Krieger) : « Ses chansons sont mystérieuses, chargées d’un symbolisme quelque peu freudien, poétiques mais peu aimables, suggérant le sexe, la mort, la transcendance… Jim Morrison pourrait être Edgar Allan Poe réincarné en hippie» (Vogue)
L’album The Doors est l’un des deux meilleurs du groupe. Sur la pochette, le chanteur mis très en avant et des morceaux devenus classiques, tels la reprise de Back Door Man, blues de Willy Dixon, Alabama Song, adaptation d’une chanson de l’Opéra de Quat’sous, et l’oedipien The End chanté au Whiskey.
L'album finit par atterrir sur l'électrophone de la famille Morrison : Andy ne reconnaît d’abord pas la voix de son frère ; le père lit le journal sans émettre la moindre remarque, jusqu’aux fameuses paroles de The End où Andy voit le journal qui se met à trembler.
Extraits de The Doors : Light My Fire, Back Door Man, Alabama Song & The End
Quelque temps plus tard, Mme Morrison réussit à joindre son fils, l’implore de venir leur rendre visite, il se laisse convaincre mais elle ajoute : « Jim, veux-tu faire plaisir à ta mère ? Tu connais ton père, veux-tu te couper les cheveux avant de venir à la maison ? » Jim dit au revoir, raccroche puis : « je ne veux plus jamais lui parler».
Le groupe se doit de passer au Ed Sullivan Show, la plus populaire des émissions de variétés, incontournable. Décence oblige, on demande au groupe de changer certaines paroles de leur tube, « we couldn't get much higher » (« on ne pourrait pas planer plus haut »). Entendu, répondent-ils ; bien évidemment, Jim Morrison ne changera rien du tout, ils sont bannis pour toujours de l’émission.
L’icône
La pochette de leur premier album illustre parfaitement l’effet produit sur scène : Jim Morrison et les trois autres. L’édification de la rock-star est en cours. Lors de leur séjour à New-York en octobre 1967, Joel Brodsky, photographe renommé, fait une série de photos de Jim Morrison torse nu qui popularisent l’image du sex-symbol qui va vite rejoindre Marlon Brando, James Dean et Marilyn Monroe. Une image qui va bientôt participer à la perte du portraituré. Mais pour l’instant, il présente son physique avantageux dans de nombreux magazines
Le deuxième album des Doors, Strange Days, paraît en octobre 1967. Avec une incantation de plus de dix minutes, When the Music’s Over, expression de la révolte contre le puritanisme américain et cette formule, « We want the world and we want it NOW ! ».
Les concerts
Des concerts exceptionnels. La magie des Doors repose dans l’osmose totale entre le chanteur et les trois musiciens. Ray, Robbie et John doivent être réactifs aux nombreuses improvisations de Jim et font preuve d’un professionnalisme hors pair. Et les cheminements alcoolisés et imprévus, il y en a eu. « Quand il est à ce point d’ivresse, c’est là qu’il est le meilleur en scène » dit un ami (c’est là qu’il donne aussi les pires concerts).
(themusicite.co m)
Un exemple, le 9 décembre 1967 à New Haven (Connecticut), Jim est dans les coulisses, flirte avec une jeune fille et s’isole dans un coin tranquille. Un policier arrive, le prend pour un rôdeur et demande au couple de circuler, Jim lui profère des obscénités et le flic lui envoie un jet anti-agression en plein visage. « On m’a matraqué, une putain de flic ! » crie-t-il dans les couloirs, le policier comprend qu’il a fait une gaffe, s’excuse. Mais sur scène, Jim sur le fond musical produit par les trois autres Doors, s’assied sur le bord de la scène allume une cigarette et raconte toute la scène « … On ne faisait rien, vous savez. On était debout et on parlait c’est tout.. Et alors ce petit homme est entré, ce petite homme en costume bleu… » et continue de raconter, « il est resté, il a pris une petite bombe noire… » Tous les policiers, le regard noir, au pied de la scène lui font face alors que le public rit.
La salle s’allume dès l’entame du premier morceau, le chef de la brigade des mineurs monte sur scène et lui dit qu’il est en état d’arrestation. « Okay, pig » lui rétorque Jim. Un deuxième policier monte, le chanteur est emmené hors de la scène, puis dans le parking, plaqué contre une voiture de patrouille puis jeté par terre, roué de coups de poing et de pied ; enfin, il est emmené au commissariat, inculpé d’exhibition indécente et immorale et pour avoir résisté à son arrestation.
Jim, qui a étudié la « Psychologie des foules » de Gustave Le Bon, a compris l’art de moduler ses interventions, entremêler chansons et monologues, s’arrêter brusquement, se laisser tomber. Le 14 décembre 1968, à Los Angeles, il désamorce une ambiance explosive. Et les trois autres sont à chaque fois présents pour apporter le bon écho musical. Comme son homonyme, Van Morrison, il peut s’en prendre au public. Le summum sera atteint à Miami le 1er mars 1969 (cf. infra).
« The War is Over »
Octobre 1967, 35 000 personnes marchent sur le Pentagone contre la guerre au Viêt-Nam. Un an plus tard, sort leur troisième album, Waiting for the Sun, un de leurs moins bons mais qui contient un violent pamphlet antimilitariste, The Unknown Soldier, le Soldat Inconnu.
10 mai 1968, Chicago. Alors que les musicien ont commencé à mettre en place le climat sonore, il monte sur scène, se met à gronder ; 15.000 grondements lui répondent et ils entament The Unknown Soldier. Lors du concert au Hollywood Bowl, le 5 juillet 1968, le groupe théâtralise l’interprétation du morceau : Robby Krieger s’approche de Jim et pointe sa guitare comme pour lui tirer dessus avant qu’il ne s’écroule.
La phrase extraite de la chanson, « War is Over » devient le slogan repris dans toutes les manifestations contre la guerre au Viêt-Nam et anti-guerre en général.
Miami, 1er mars 1969
Deux événements précèdent ce concert resté dans les annales :
Jim, auparavant, a assisté à des représentations du Living Theater où il a été impressionné par leur rapport provoquant avec le public, l’invectivant, l’insultant pour le sortir de sa passivité.
Par ailleurs, il est furieux d'avoir appris que les trois autres ont accepté de vendre la mélodie de Light My Fire pour une publicité sur les automobiles Buick, tout à fait contraire à leur contrat moral.
1er mars 1969, le concert est organisé dans un hangar de la PanAm transformé en salle de spectacle, la chaleur y est étouffante et, de surcroît, le promoteur a vendu deux fois plus de places que la salle ne pouvait en accueillir, l’assistance est nerveuse.
Jim vient des Caraïbes, il s’est disputé avec Pamela Courson (cf. infra) et rate son avion ; il va dans un bar en attendant le suivant qu’il rate également ; retour dans un bar. Résultat, il arrive dans les coulisses du concert avec plus d’une heure de retard ; les autres Doors ont déjà commencé à jouer pour faire patienter.
Un Jim Morrison barbu et ivre mort monte sur scène ; John Densmore embraye mais Jim n’écoute pas, il discute avec des spectateurs.
Le silence puis Jim clame : « Je ne vais pas parler de révolution ! Je vais parler de prendre du bon temps… » suivi d’une sorte d’oraison. Le groupe entame Back Door Man mais après quatre vers, Morrison s’arrête et recommence à parler. « Ecoutez, vous autres. Je suis seul. J’ai besoin d’amour, vous savez…. » suivi d’une obscénité.
Les spectateurs sont interloqués mais ils ne leur laisse pas le temps de souffler. Le disciple de Gustave Le Bon passe à l’attaque ; quelques extraits : « Combien de temps allez-vous les laisser vous entasser comme ça ? » pendant que les trois autres, rodés aux improvisations du chanteur, distillent des nappes sonores. « Vous aimez peut-être qu’on vous mette la tête dans la m… ? » Le Living Theater a effectivement laissé des traces… « Vous êtes tous des esclaves ! », et, contre son attente, la foule applaudit, pousse des cris de joie à chaque insulte.
La chanson se termine tant bien que mal et Jim se remet à parler : « Nous sommes là pour jouer de la musique, mais ça ne vous suffit pas, pas vrai ? Vous en voulez plus... Vous voulez quelque chose de plus... » et, joignant le geste à la parole, jette sa chemise dans la salle. Ray Manzarek essaye de ramener Jim à la musique mais il est emporté par une sorte de rage, il beugle comme une bête, le visage rouge, quand il commence à déboucler sa ceinture... Aïe, Aïe, danger : Ray appelle un road manager pour qu’il empêche Morrison de continuer. Il n’avait probablement pas l’intention de s'exhiber mais il est arrêté dans son élan...
Extraits du concert de Miami enregistré par un spectateur
L’orchestre termine Touch Me, un peu approximativement ; le spectacle continue. Jim invite sans cesse les spectateurs à le rejoindre sur scène. C’est alors une grande confusion et c’en est trop pour les promoteurs du spectacle qui menacent d’arrêter la représentation par micro. Il y a bientôt cent personnes sur la scène et les musiciens continuent à jouer tant bien que mal.
« On ne s’en ira pas avant de s’être envoyé en l’air. » crie Jim qui se met à danser avec deux ou trois filles.
Finalement, un costaud employé par les promoteurs monte sur scène, s’infiltre jusqu’à Jim qu’il empoigne pour le balancer hors de la scène. Jim apparait une dernière fois à un balcon avant de disparaître. Le spectacle est terminé dans un désordre indescriptible.
La scène est à moitié effondrée : un millier de bouteilles de vin et de bière, des culottes et des soutiens-gorges en quantité ; tous les mètres, un vêtement...
Que Buick se débrouille avec tout cela !
Procès pour comportement indécent
Le 5 mars 1969, alors que la presse locale se déchaîne, Jim Morrison fait l’objet d’un mandat d'arrêt sous quatre chefs d'accusation : « comportement indécent », « exhibition indécente », « outrage aux bonnes mœurs » et « ivresse publique ».
Morrison a-t-il vraiment « dérapé » comme le titre la presse, a-t-il montré son pénis ? Aucune des 150 photos prises durant le concert n’atteste le fait ; un seul témoin l’affirme, Bob Jennings, mais c’est le fils d’un policier de Miami.
Conséquence immédiate : une douzaine de concerts prévus son annulés, une mauvaise passe de quelques mois avant de retrouver le succès.
Le jugement : le procès commence en août 1970, Jim se montre calme, répondant aux questions avec courtoisie. Il se solde par une condamnation à huit mois de prison et à une amende de cinq cents dollars pour deux des chefs d'accusation. Le verdict sera suivi d'une autre délibération où il est déclaré coupable d’exhibition indécente ; la caution est portée à 50 000 $.
Jim, Pamela et Patricia
Jim et Pamela
Jim Morrison rencontre Pamela Courson à l’époque de la formation des Doors, en 1965 ; elle a 18 ans, est née en Californie, fille d'un officier aviateur dans la Navy.
Ils commencent à cohabiter en 1967 et resteront en relation discontinue et souvent conflictuelle jusqu'à la mort du poète et chanteur. Elle dira plus tard qu’elle fut une création de Jim, qu’il lui a appris la vie. Lui l’appelle sa « compagne cosmique », celle qui lui est indispensable pour féconder son imaginaire poétique. Ce sera aussi sa compagne de tous les abus : alcool, LSD, héroïne. Ils sont follement amoureux mais ne cessent de se déchirer ; des bagarres sont déclenchées pour des vétilles.
Ni l’un ni l’autre ne prétend être monogame (être rock-star et monogame est antinomique) ; ainsi Pamela, entre autres aventures, fait la connaissance d’un jeune aristocrate français, Jean de Breteuil, qui deviendra son fournisseur en héroïne et qu’on retrouve plus loin.
A côté de toutes les groupies qui ont gravité autour du chanteur, il faut citer deux liaisons plus marquantes : Nico, l’ex cover-girl qui fut la compagne d’Alain Delon, l’égérie d’Andy Warhol et, surtout, Patricia Kennely.
Patricia Kennely : journaliste et critique new-yorkaise, il l’a rencontrée début 1969 au cours d’une interview. La journaliste a toujours pris le travail de Morrison au sérieux, le comparant au poète T.S. Eliot ; Jim est fasciné parce que cette ardente féministe très cultivée est initiée aux sciences occultes ; elle est la grande prêtresse d’une loge, pratique la sorcellerie wicca, religion néo-païenne (ils se marieront secrètement en 1970 selon le rite wicca).
Jim Morrison va se partager pendant des mois entre Patricia et Pamela, sans rien avouer à Pamela.
Il n'y eut pas de liaison entre Morrison et Janis Joplin, mais un épisode peu glorieux pour le chanteur : au cours d’une fête, ils se soûlent ensemble, les bras sur les épaules quand, soudain, l’ivresse de Jim tourne à la violence : il prend Janis par les cheveux et lui colle le visage contre son entrejambe, Janis est en pleurs (et lui cassera une bouteille sur la tête un peu plus tard).
Fatigué d’être une rock-star
Les Doors sont plus grands que nature. Le succès de la formation pèse de plus en plus à Morrison, il accepte de plus en plus difficilement l’espèce d’adoration que lui voue son public (et que lui-même a suscitée) d’où son attitude déroutante vis-à-vis de ce public hippie auquel il reproche sa passivité, son manque d’attitude rebelle et sa naïveté.
A l'image de l’épisode de Miami, les concerts sont de plus en plus chaotiques avec un chanteur en état de constante ébriété plus ou moins (souvent plus) prononcée.
Inévitablement, les tensions montent avec les autres membres. « J’en ai marre » dit John Densmore en jetant ses baguettes. Ils embauchent alors Bobby Neuwirth, lui-même chanteur, pour assurer la surveillance de Jim.
La lassitude de Jim se fait sentir dès l’enregistrement de leur 3e album, Waiting for the Sun, laissant à Robby Krieger l’écriture de la majeure partie des morceaux. Jim montre tout aussi peu d’intérêt pour leur 4e album, The Soft Parade ; l’accueil de la critique est d'ailleurs mitigé mais il sera tout de même disque d’or.
Cette même année, il publie deux ouvrages à compte d’auteur : The Lords. Notes On The Vision et The New Creatures, symptomatiques de la nouvelle direction qu'il souhaite prendre.
Pourtant, pour l’instant, l’enfant terrible se résigne à continuer et avec conviction ; les Doors retrouvent l’inspiration pour le 5e album, Morrison Hôtel, qui paraît en février 1970. Les critiques sont élogieuses, Jim a écrit la totalité des compositions (certaines avec Robby). L'enregistrement de l'album a été cependant très décousu : parfois une nuit entière pour enregistrer les paroles d’une seule chanson ou bien encore Pamela qui boit une bouteille entière pour empêcher Jim de se soûler...
Elektra publie une compilation, Doors 13, dont la pochette met en rage Morrison ; son image emplit encore une fois tout l’espace, les autres sont de simples comparses, il sera même seul sur la pochette de leur disque en public.
Le 30 août 1970, ils sont présents au festival de Wight devant 600 000 personnes ; Jim Morrison barbu et alourdi, immobile, reste accroché à son micro.
Morrison à Wight
Les Doors donnent leurs deux deniers concerts les 11 et 12 décembre, à Dallas et à la Nouvelle-Orléans ; ils ne joueront plus ensemble en public.
Leur dernier disque, L.A. Woman, paraît en février 1971, avec une pochette qui satisfait Jim, tous les quatre côte-à-côte, Jim étant même un peu en retrait. La critique unanime salue leur meilleur album avec le premier ; la chanson L.A. Woman est un adieu de Jim à sa ville.
Sa décision est irrévocable, il ne doit plus rien ni aux Doors ni à la maison de disques ; il quitte les Etats-Unis et rejoint Paris pour se consacrer à l’écriture, au pays de Baudelaire, Rimbaud et Céline.
Mars 1971, Paris
Pamela l’avait précédé pour chercher un appartement. Selon elle, le bref exil à Paris fut idyllique. Il avait cessé de boire, dans les premiers temps tout du moins. Les mauvais pressentiments sont pourtant présents. Brian Jones était mort en 1969, Jimi Hendrix en septembre 1970, suivi de Janis Joplin un mois plus tard, « vous buvez avec le n° 4 ». Et son vieil ami de l’époque de Venice, Felix Venable, était mort d’un cancer.
L’ex idole a 27 ans mais, épuisé par le star-system, il dit avoir l’impression d’en avoir 47. Il n’a pas ménagé son corps, il a des quinte de toux, crache parfois du sang et il boîte. Il souhaite décrocher de l’alcool et de la cocaïne.
Mais il est heureux d’être à Paris, dans les pas de Henry Miller, James Joyce, Scott Fitzgerald et Hemingway. Une des nombreuses disputes avec Pamela l’avait déjà amené à Paris, rejoindre son ami Alan Ronay ; il y avait retrouvé Jacques Demy et Agnès Varda, Demy avait pensé à lui pour tenir un rôle dans Model Shop. Il va avec Agnès à Chambord où Jacques tourne Peau d’Âne.
Jim Morrison et Agnès Varda à Chambord
Paris est la ville idéale pour un nouveau départ. Il se partage entre l’hôtel George V et un appartement ensoleillé qu’a trouvé Pamela, au troisème étage 17, rue Beautreillis. Il appartient à un mannequin également actrice, Elizabeth Larivière, alias Zouzou.
Il écrit beaucoup de poèmes selon Pamela et a le projet d’écrire sur le procès de Miami. Il marche beaucoup dans les rues de Paris, « après avoir créé cette ville, ils ont jeté les plans », de longues promenades solitaires, voit l’hôtel de Lauzun où séjourna Baudelaire ; avec Pamela, ils se seraient installés quelques jours à « l’Hôtel », rue des Beaux-Arts, où Oscar Wilde était mort.
Mais il y a tant de terrasses à Paris ! Inimaginable pour Jim de ne pas s’arrêter et les vieux démons le reprennent : le 7 mai 1971, ivre mort, il est à nouveau violent et est mis à la porte d’un établissement ; aucun taxi ne veut le prendre, il est aidé par un étudiant qui l’a reconnu et qui le conduit chez Hervé Muller, chroniqueur dans Best (revue rock). Il invite au restaurant le journaliste et sa compagne, commande deux bloody marys, une bouteille de whisky, insulte leurs voisins de table puis commande deux bouteilles de cognac.
La descente aux enfers approche, malgré un voyage en Corse avec Pamela, « j’en ai tellement marre de tout ». Pendant ce temps, Ray Manzarek, John Densmore et Robby Krieger répètent en vue d’un éventuel retour du chanteur ; John Densmore téléphone à Jim pour lui annoncer le succès de leur dernière album : « S’ils aiment ça, on verra quand ils entendront ce que j’ai dans la tête pour le prochain».
Des projets sont donc en préparation, ainsi qu'une idée de comédie musicale inspirée d’Othello, avec Jerry Lee Lewis dans le rôle de Iago.
La mort de Jim Morrison
L’ex Door semble aller mieux mais, début juillet, la pulsion auto-destructrice reprend le dessus. Il boit plus que jamais si cela est encore possible. Il reste la plupart du temps prostré ; Alan Ronay ne l’a jamais vu aussi bas.
Vendredi 2 juillet dans la soirée, il dîne rue Saint-Antoine avec Alan Ronay, puis après le départ du journaliste, on ne sait trop ce qu’il s’est passé.
Version de Pamela et officielle : ils sont allés voir un western avec Robert Mitchum, rentrent rue Beautreillis, regardent des films et écoutent de la musique. Vers 3h30, Jim est pris de quintes de toux, crache du sang ; il se lève et va dans la salle de bains pour prendre un bain chaud. Pamela se rendort jusqu’à ce qu’elle se rende compte au petit matin que son compagnon ne s’est pas recouché ; elle se précipite dans la salle de bains et le trouve inanimé. Parlant mal le français, elle appelle Alan Ronay qui vient avec Agnès Varda ; ils appellent les pompiers. Le décès est constaté par le médecin requis par la police, elle-même avertie par les pompiers. Le rapport de police conclut à une mort par crise cardiaque.
Version « mort par overdose » : Jim Morrison fréquentait le Rock’n’Roll Circus, boîte à la mode de la rive gauche où se produisit notamment Led Zeppelin mais qui était devenue une épicerie de l’héroïne et de la cocaïne. Y sévit Jean de Breteuil, le fournisseur de Pamela (et le compagnon de Marianne Faithfull à ce moment-là), un individu bien connu des services de police.
Jean de Breteuil
Plusieurs témoins, et Sam Bernett le patron, affirment y avoir vu Jim, en quête de drogue pour Pamela. Selon Bernett il est avec deux hommes travaillant pour Jean de Breteuil. Morrison ayant disparu sans être sorti, le patron le cherche et le retrouve dans les WC fermés. Un médecin client du bar constate le décès ; il est décidé, aussi bien par les sbires de Jean de Breteuil que par Bernett, d’enlever le corps et le ramener rue Beautreillis. Jim Morrison y a été immergé dans un bain chaud, afin de compliquer la détermination de l'heure du décès.
Cette version a récemment été confirmée par Marianne Faithfull qui impute le décès à Breteuil pour lui avoir fourni une dose trop forte compte tenu de son état de santé.
La version officielle contestée
Quelques éléments ont semé le doute :
Il n’a pas été procédé à une autopsie
L’enquête est rapidement ficelée
La nouvelle n’est divulguée que le 5 juillet
Le corps a été mis dans un cercueil scellé, comme l’a constaté Bill Siddons à son arrivée
Jean de Breteuil s’est enfui vers le Maroc dès le lendemain (il mourra d’une overdose l’année suivante)
Certains pensent que l’affaire aurait été étouffée par le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, afin de ne pas trop braquer les projecteurs sur la trop fameuse French connection, grande pourvoyeuse de stupéfiants aux Etats-Unis.
L'hypothèse d'un simple arrêt du cœur à la suite d'une vie d'excès (Morrison se vantait d'avoir pris deux cents fois de l'acide) paraît encore la plus vraisemblable.
Jim Morrison est enterré dans le cimetière du Père-Lachaise, le 7 juillet, en présence de cinq personnes dont Pamela, Bill Siddons et Agnès Varda. Mais sans la présence des Doors.
En 1990, la tombe est rénovée. La famille du défunt y fait graver en grec l'inscription « Fidèle à ses démons ».
Le Club des 27
Le chanteur et poète fait partie du fameux et sinistre club des 27, où figurent :
Robert Johnson (1911-1938), le premier grand bluesman, mort dans des circonstances mystérieuses
Brian Jones (1942-1969), fondateur des Rolling Stones, mort dans sa piscine dans des conditions tout aussi étranges
Alan Wilson (1943-1970), guitariste du groupe Canned Heat, retrouvé mort d’une overdose dans son duvet à Los Angeles
Jimi Hendrix (1942-1970), mort à Londres, étouffé par ses vomissements après une prise de barbituriques accompagnée d’alcool
Janis Joplin (1943-1970), morte à Los Angeles d’une overdose
Kurt Cobain (1967-1994), fondateur du groupe Nirvana, mort d’une overdose à Seatlle
Amy Winehouse (1983-2011), chanteuse anglaise, morte à Londres d’une surdose d’alcool
Pamela Courson est morte en 1974 d’une overdose d’héroïne, à 30 ans.
Compléments :
Personne ne sortira vivant d’ici, Jerry Hopkins, Daniel Sugermann, 1980 (ed. Presses Pocket)
Les wikipedia
The Doors Live At The Hollywood Bowl, July 5, 1968 Full Concert - YouTube