40 : Samedi 11 septembre 1937 - La Cagoule fait boum !
4, rue de Presbourg
Sommaire :
Financement et liens politiques
La stratégie : créer un climat de tension
La cagoule entre en action, une année bien remplie
Une tentative de putsh pour terminer l'année
Les Cagoulards sous l'occupation
En conclusion, une organisation dangereuse et rocambolesque
11 Septembre 1937 : deux attentats à la bombe ont lieu à Paris dans le quartier de l’Étoile contre la Confédération Générale du Patronat Français, 4 rue de Presbourg et l'Union des Industries et Métiers de la Métallurgie, au 45 rue Boissière. (16e)
Contexte européen
L’Europe sort d’une terrible guerre fratricide ayant entraîné trois millions de morts en France et en Allemagne. Une des nombreuses séquelles du conflit est la montée des nationalismes sur le continent et, en particulier, l’arrivée du fascisme en Italie.
La Révolution d’Octobre a donné naissance à l’URSS.
La crise économique américaine de 1929 s’est répandue en Europe au début des années 30, avec deux issues opposées : l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne et celle du Front populaire en France.
Ajoutons à cela la guerre civile entre franquistes et républicains en Espagne et on comprend que l’Europe soit transformée en poudrière par la confrontation entre idéologies radicalement opposées.
A côté de ces associations, l’ancienne Action française, fondée en 1899 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, nationaliste puis royaliste sous l'influence de Charles Maurras. Elle est antiparlementaire, antimaçonnique, anti-protestante, antisémite et xénophobe. Ardente propagandiste du « réveil national » face à la menace allemande, deux mille six cent de ses militants meurent au combat ; son influence est grande dans les année 1930, malgré sa condamnation par le pape Pie IX en 1926.
Elle a ses hommes de main, les Camelots du roi.
En France
La France victorieuse a payé un lourd tribut avec 1.500.000 morts ; elle voit après 1918, la naissance de plusieurs associations d’anciens combattants dont le slogan unitaire à l’origine est « plus jamais ça ! », et qui évoluent au fil des ans vers la lutte contre la gauche et les communistes dans un contexte de montée du bolchevisme. Ce sont, entre autres, la Ligue des chefs de section et des soldats combattants ; La Légion, nationaliste et antiparlementaire à la fin de la guerre ; Le Faisceau, fasciste comme son nom l’indique ; les Croix-de-feu, qui restent, en revanche, fidèles à la République.
Maurras en 1937
Démonstration de Camelots du Roi
Le 6 février 1934, le scandale politico-financier de l’affaire Stavisky et le limogeage du préfet de police Jean Chiappe (proche de l’Action française) entraînent une manifestation antiparlementaire organisée par les ligues nationalistes : 60.000 personnes sont présentes place de la Concorde, prêtes à envahir le Palais-Bourbon. Les heurts avec la police sont particulièrement violents et feront quinze victimes.
Cette tentative de coup d’état d’extrême droite entraîne la montée de la crainte du totalitarisme dans l’opinion publique et concourt à l’arrivée au pouvoir du Front populaire après les élections de mai 1936. Les grandes grèves qui suivent vont fortement inquiéter les grands patrons français.
Brutalisation du monde, habitude des armes et de la violence physique (la majorité des hommes politiques ont fait la guerre) et verbale : voilà le contexte dans lequel naît l’organisation politico-militaire que Maurice Pujo de l’Action française affuble du sobriquet de « La Cagoule » en raillant ses rituels.
Création
Objectif : le bien de la France ! Face à une institution qui a amené le désordre dans les entreprises, un juif au pouvoir et des rouges à l’assemblée, ce mouvement vise à créer une force d’autodéfense pour parer au coup d’état communiste, organiser une armée et préparer la chute de la « gueuse », la République, de la démocratie, la « démocrassouille », en pratiquant de l’entrisme dans les partis politiques et des actions d’infiltration au sein de l’armée.
Pour la Cagoule, seule, l’action directe pourra mettre fin à la Troisième République, ce que condamne Charles Maurras.
Il y a d’abord l'Union des comités d'action défensive (U.C.A.D.), créée par le général Duseigneur, as de l'aviation en 1914-1918, et son ami, le duc corse Pozzo di Borgo ; elle prend pour prétexte la défense armée des institutions républicaines, face au danger marxiste.
Le fondateur de la Cagoule est Eugène Deloncle, polytechnicien, officier d’artillerie et conspirateur né ; début 35, il a quitté l’Action française qu’il juge trop passive. Plusieurs dizaines de membres des Camelots du Roi l’accompagnent, dont Jean Filliol, qui a été très actif le 6 février 1934.
Eugène Deloncle, Jean Filliol, le général Duseigneur et le duc Pozzo di Borgo
13 février 1936, alors qu’elle passe boulevard Saint-Germain, la voiture de Léon Blum croise le cortège qui suit le cercueil de l’écrivain d’extrême droite, Jacques Bainville. Léon Blum est sauvagement agressé. Quelques mois plus tard, le 18 juin, les ligues sont dissoutes. Deloncle dissout alors le PNR pour créer une organisation clandestine, l’OSARN, « Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale », qui deviendra le CSAR dans la presse, après une faute de transcription. Jean Filliol est son bras droit.
Un autre ancien camelot du roi, Maurice Juif, très antisémite, est à l’origine d’une autre association secrète à Nice, les Chevaliers du Glaive, qui mélange des rituels maçonniques et l’imagerie issue du Ku Klux Klan - les militants portent de grandes cagoules -. Joseph Darnand en est le chef.
Cette officine devient un satellite du CSAR
Organisation
C'est une organisation de type militaire, conçue pour des troupes de choc prêtes à l’action ; les militants (ou les soldats), sont soigneusement sélectionnés et doivent se soumettre à un rite d’initiation, sur le modèle d’un de ses adversaires, la franc-maçonnerie.
La direction est organisée en quatre bureaux : organisation (Deloncle), renseignements (docteur Henri Martin), opérations et transports-munitions (Jean Moreau de la Meuse, industriel).
Jacques Corrèze et le curieux docteur Martin
Deloncle est entouré d’un état-major où se trouvent Filliol et Jacques Corrèze. La branche militaire est assurée par la général Duseigneur, « couvert de décorations ».
Sur le terrain, une structure constituée de cellules légères (sept hommes) ou lourdes (douze hommes), regroupées par trois en unités, le même regroupement par trois formant des bataillons, des brigades, des régiments et les divisions. Chaque homme est armé d’au moins un pistolet ou un fusil de chasse ; chaque unité a un fusil-mitrailleur.
La Cagoule dispose ainsi de 12.000 combattants, dont 5.000 à Paris !
Assassinats, attentats, sabotages, vols et trafic d’armes sont la vocation de l’organisation mais dans un seul but, le grand soir du coup d’état. Toute entorse est réprimée impitoyablement : Léon Jean-Baptiste et Maurice Juif sont exécutés pour avoir détourné des fonds lors de livraisons d’armes à l’armée franquiste.
Financement et liens politiques
La quasi-totalité des membres a appartenu à l’Action française ou aux Camelots du Roi ; beaucoup d’aventuriers, de malfrats figurent dans les rangs mais les cadres sont issus des milieux de la bourgeoisie : hauts fonctionnaires, médecin, et de l’entreprise. Les connexions avec le monde des affaires sont importantes, en particulier avec des grandes entreprises très inquiètes de la politique menée par Léon Blum, son gouvernement Front populaire et la vague de grèves et de séquestrations qui a suivi son élection. Eugène Schueller, le fondateur de l’Oréal, est un ami intime d’Eugène Deloncle qui organise ses réunions dans le bureau de Schueller ; autre apports financiers : la Fédération nationale des contribuables dirigée par le PDG de Lesieur, Jacques Lemaigre Dubreuil, ainsi que Pierre Michelin, Louis Renault, les ciments Lafarge, les sociétés Gibbs, Byrrh, la banque Worms...
Eugène Schueller, Louis Renault et Michelin
La proximité avec l’Italie, favorisée par les Chevaliers du Glaive, permet l’importation clandestine d’armes fournies par l’Italie fasciste, réalisée par l’entreprise de transport de Joseph Darnand.
La Cagoule, idéologiquement proche de Mussolini et de Franco, tisse des liens avec ces deux pays, en particulier pour la fourniture d'armes, alors que l’Allemagne demeure l’ennemi héréditaire, la Cagoule est farouchement germanophobe.
A cette époque où l’idéologie dominante dans le monde étudiant est de droite, des jeunes gens de la future élite nationale sont en contact avec les dirigeants de l’OSARN ; ils ont pour noms André Bettencourt, futur gendre de Schueller, Pierre de Bénouville, François Mitterand ou Claude Roy, tous résidents de l’internat des pères maristes, 104, rue de Vaugirard.
La stratégie : créer un climat de tension
Il faut des attentats spectaculaires pour répandre dans la société un climat d’insécurité afin d'entraîner une déstabilisation de la République, puis des mesures drastiques de maintien de l’ordre, voire l’intervention de l’armée. Dans ce dernier cas, le renversement de régime devient envisageable. La Cagoule est donc bien une organisation terroriste.
Le général Franchet d’Esperey
L’appui de l’armée, ils le cherchent auprès du général Giraud, qui, fin novembre 1936, promet son aide en cas de soulèvement communiste ; ils le cherchent aussi auprès de Pétain, qui refuse catégoriquement ; puis auprès de l’ultra-conservateur, le « vieux sanglier » selon Tournoux, le maréchal Franchet d’Espèrey, lequel leur aurait promis son soutien à la condition qu’ils démontrent leur détermination par le meurtre.
La cagoule entre en action, une année bien remplie
Assassinat de Dimitri Navachine. Franchet d’Esperey peut être satisfait : le 23 janvier 1937, le journaliste et économiste russe, Dimitri Navachine, est tué de six coups d’une baïonnette tronquée dont un en plein cœur, avenue du Parc des Princes, à 10h30 du matin alors qu’il rentrait 28, rue Michel-Ange, après voir promené son chien dans le bois. L’exécuteur est Filliol, dit Le Tueur.
Navachine est un ami personnel du ministre Anatole de Monzie, auquel la droite reproche d’avoir fait reconnaître l’URSS et négocié le remboursement de l’emprunt russe. C’est un proche de Pierre Cot et un ami de Léon Blum.
Dimitri Navachine
La fusillade de Clichy. Le 16 mars 1937, le Parti Social Français, qui a succédé à la ligue des Croix de Feu dissoute depuis juin 1936, organise une réunion privée à Clichy ; le maire SFIO appelle à une contre manifestation. Les deux manifestations sont autorisées et mobilisent un important contingent policier. Des incidents éclatent ; les premiers coups de feu sont tirés, la foule accourt et prend à partie les forces de l’ordre qui, débordées, font appel à des renforts. C’est le début d’une incroyable fusillade qui fera entre 200 et 300 blessés du côté des manifestants, dont 48 par arme à feu, 255 blessés du côté des policier et, surtout, sept morts.
Les circonstances restent mystérieuses et il est possible que des éléments de la Cagoule aient été les boutefeux, hypothèse accréditée par des témoignages ultérieurs d’anciens cagoulards.
Assassinat des frères Rosselli . François Méténier, officier saint-cyrien, se rend à Rome pour y chercher le soutien de Mussolini ; il accepte le marché consistant à exécuter les frères Carlo et Nello Rosselli, intellectuels antifascistes influents dont le comte Ciano, gendre du Duce, veut la mort. Le 9 juin 1937, les deux frères réfugiés en France sont en cure thermale à Bagnoles-de-l’Orne. Leur voiture est bloquée sur la route d’Alençon par une Peugeot 402 qui lui fait une queue de poisson ; deux hommes en sortent et massacrent Carlo et Nello Rosselli à l’aide d’une baïonnette tronquée. L’un des deux assassins est Filliol le Tueur, à la tête d’un commando de neuf hommes.
La Cagoule est rétribuée par la livraison de cent mitraillettes Beretta qui sont ensuite convoyées à travers la France.
20 août 1937, l’aéroport de Toussus-le-Noble : Méténier avait été également missionné auprès des franquistes avec la tâche d’assurer la liaison entre l’Italie et l’Espagne pour la livraison d’armes promises à Franco par Mussolini. Le colonel Ungrilla lui demande par ailleurs de saboter les avions qui transportent du matériel pour les Républicains , trois avions explosent sur le tarmac de Toussus-le-Noble le 20 août 1937.
11 septembre 1937, deux explosions dans Paris : une bombe explose dans l’immeuble de Confédération générale du patronat français, 4, rue de Presbourg ; une autre explose 45, rue Boissière, siège de l’Union des industries et métiers de la métallurgie. Deux gardiens en faction sont tués rue de Presbourg. Le plan de l’OSARN était de faire attribuer la paternité des attentats à des activistes communistes, ce que ne manque pas de faire la presse de droite.
Mais la machination n’atteint pas son but et va se retourner contre ses auteurs. L’enquête s’oriente vers un groupe de « cagoulards », les Enfants de Gergovie. Ils sont clermontois et plusieurs des membres appartiennent à l’encadrement de Michelin. Pierre Michelin, un des fils du fondateur, est suspecté de financer la section et d’en être le chef.
Une tentative de putsch pour terminer l’année
Une organisation militaire, des hommes aguerris et des officiers compétents, des stocks d’armes et d’explosifs bien fournis par l’étranger et les vols dans les magasins de l’armée -, ils ont même des hôpitaux clandestins et des ateliers pour blinder des bus - ; il ne reste plus que le soutien de l’armée.
Le général Giraud avait promis son aide en cas d’insurrection communiste ; Franchet d’Espèrey est prêt à leurs côtés, le général Duseigneur est du complot. Deloncle, considérant que le climat anticommuniste est propice, décide de lancer son organisation dans l’opération ultime, le coup d’état.
Lui et ses amis font donc circuler dans l’armée l’imminence d’une prise de pouvoir par les communistes. Le 15 novembre, il persuade Duseigneur d’avertir le général Gamelin, chef d’état-major des armées.
Dans la nuit du 15 au 16 novembre 1937, toutes les forces de l’OSARN équipées d’armes automatiques sont à leurs postes de combat ; les cibles sont : l’Elysée, Matignon, les ministères clé, les Assemblées. Des groupes ont pour cibles les adresses de personnalités à arrêter ou à supprimer, avec, parfois, les plans de leurs appartements.
Plan de la maison de Léon Blum
Tout le monde attend l’ordre d’agir. Mais rien n’arrive.
Deloncle ne donne l’ordre tant attendu. Au contraire, à cinq heures de matin, c'est un ordre de dispersion ; des milliers de conspirateurs rentrent chez eux.
La nuit du « jour décisif » devient une nuit pathétique.
Fin de la Cagoule
Les militaires vérifient ; pas de soi-disant coup d’état des rouges ; le « bluff » est éventé, ils ne s’associent pas à l’aventure.
Sans l’armée, la Cagoule n’a pas les moyens de renverser la République ; Deloncle renonce, au grand dam de Filliol, la tête brûlée.
Ce que ne savaient pas les chefs de la Cagoule, c’est que la police avait déjà infiltré l’organisation ; la surveillance s’intensifiait. Un traître, exécuté entre temps, a laissé une valise dans une consigne de gare avec quantité de documents. L’Action française ne s’était pas non plus privée de faire savoir qu’un complot se tramait.
Un stock d’armes de la Cagoule
Le 18 novembre 1937, le complot est révélé au grand jour, les services de police ont établi avec certitude l'existence d'un complot contre la République ; Moreau de la Meuse est arrêté le 21 novembre ; Marx Dormoy, ministre de l’Intéreur à la forte personnalité, fait démanteler l’organisation le 23 novembre, plusieurs caches d’armes sont découvertes (7.740 grenades, 34 mitrailleuses, 195 fusils Schmeisser, 85 fusils Beretta, 148 fusils de chasse, 300.938 cartouches, 166 kilos d’explosifs rien qu’à Paris).
En janvier 1938, Pierre Michelin est suspecté d’être chef de la section clermontoise ; dans le courant de l’année, cent vingt membres du CSAR alias OSARN sont arrêtés, dont le général Duseigneur et le duc et corse Joseph Pozzo di Borgo.
Le coup de filet n’est pas complet ; beaucoup de cagoulards prennent le chemin de l’exil, en Espagne particulièrement. Les ramifications au sein des grandes entreprises ne sont pas totalement explorées…
Cest un dossier rudement encombrant que signe le juge Béteille le 6 juillet 1939 : deux ans d’instruction, 600 pages que le Président du Conseil, Edouard Daladier, prend soin de refermer ; les procédures visant les cagoulards sont arrêtées.
Puis arrive la déclaration de guerre ; les prisonniers, patriotes et germanophobes, sont libérés. Ils connaîtront des destins contrastés (cf. infra).
L’assassinat de Marx Dormoy
Dans les milieux d’extrême droite, on minimise l’affaire ; Paul Marion, du P.P.F., considère que la tentative de putsch est une « fumisterie », une invention policière de « FantoMarx », surnom dont Marx Dormoy est affublé par un chansonnier antirépublicain.
La pugnacité dont le ministre de l’Intérieur a fait preuve dans le démantèlement de l’organisation clandestine concentre sur lui la haine des milieux d’extrême droite, les quolibets et les caricatures dont celles de Sennep.
Marx Dormoy et sa caricature par Sennep
Dans la nuit du 25 juillet au 26 juillet 1941, dans une chambre d’hôtel de Montélimar, une bombe à retardement est placée sous le lit de l’ancien ministre, par trois anciens cagoulards avec la complicité d'une comédienne qui a servi d'« appât ». Les petites mains sont arrêtées mais on ignore tout des commanditaires.
Les Cagoulards pendant l’Occupation
Beaucoup rejoignent Vichy, croient au double jeu de Pétain, jusqu’à la déception de l’entrevue de Montoire, après laquelle ils rejoignent la Résistance alors que d’autres s’enfoncent dans la pire Collaboration.
On retrouve à Vichy André Bettencourt, qui dirige La Terre Française, organe de propagande antisémite, avant de rejoindre la Résistance en 1944,
Le docteur Henri Martin, fasciste anti-allemand qui s’oppose à Laval avant de rejoindre le maquis, participer à la libération de Lyon et s’engager dans l’armée américaine ;
François Métenier est un membre du réseau Alliance, de tendance droite nationaliste, après avoir été chef du groupe de protection du maréchal Pétain.
Georges Loustaunau-Lacau gagne Vichy avant de fonder le réseau Alliance, il sera arrêté, torturé et déporté.
Jacques Corrèze sera membre de la Légion des Volontaires Français, combat sur le front de l’Est avant de rejoindre un réseau de résistance
Joseph Darnand fonde la Milice et devient Obersturmführer de la SS
Jean Filliol continuera ses œuvres de tueur et de tortionnaire comme chef de la Milice face aux résistants du Limousin.
D’autres, moins nombreux, fervents nationalistes hostiles à toute compromission, rejoignent immédiatement Londres ou la Résistance intérieure
Claude Hettier de Boislambert, dès juin 1940, il devient un proche collaborateur du général de Gaulle ;
Joseph Pozzo di Borgo, un des chefs de la Résistance corse.
Pierre de Bénouville, qui a fréquenté les chefs de La Cagoule, s'engage à Combat, retrouve son ami François Mitterrand en 1942 ; il est fait général de brigade par le général de Gaulle.
Marie-Madeleine Fourcade connue des cagoulards sous le nom de Mme Méric comme l'adjointe du chef de la Spirale cagoularde, est responsable du réseau Alliance.
André Dewavrin, dit le colonel Passy, chef des services secrets de la France libre, a été le secrétaire d'Eugène Deloncle.
Et Eugène Deloncle ?
Le maurrassien anti-allemand ne quitte pas ses habitudes conspirationnistes pendant cette période, il fonde le Mouvement Social Révolutionnaire, en compagnie de Filliol et Eugène Schueller, se rapproche du très collaborationniste Doriot et son P.P.F. mais serait déjà agent double ; est-il impliqué dans l’attentat contre Laval et Marcel Déat le 27 avril 1941 ?
Deloncle, le comploteur, entre en contact avec des officiers antinazis avec le projet de tuer Hitler ; l’amiral Canaris lui fournit un passeport pour se rendre en Espagne, y rencontrer des représentants des alliés occidentaux et leur proposer une paix de compromis.
Du fait de ses activités troubles, il est maintenant dans la collimateur de la Gestapo. Le 7 janvier 1944, des agents pénètrent dans son appartement par la cuisine ; ils l’abattent de dix balles devant son épouse.
Le procès de 1948
L’épais dossier d’instruction du procès de la Cagoule finit par être retrouvé après une enquête minutieuse du magistrat instructeur Béteille, dossier complet et intact, soigneusement camouflé dans un faux-plafond des toilettes du tribunal de la petite ville de Lesparre-Médoc, en Gironde.
Le procès s’ouvre le 10 octobre 1948 devant les Assises de la Seine ; un procès fleuve avec 50 accusés dans le box, 60 avocats. Il va durer vingt jours, faisant appel à 400 témoins.
Beaucoup d’accusés manquent à l’appel, seize sont décédés, dont le général Duseigneur, quatorze sont en fuite ou disparus. Filliol est en Espagne.
Dans le prétoire, il y a un peu de tout, des gens encore jeunes pour la plupart. Pierre Scize, du Figaro, note qu'«aucun ne semble très affecté d'être là, même les deux que l'on vient d'extraire du quartier des condamnés à mort…» Le journaliste rappelle les cas de Jacques Corrèze ; il « semble avoir oublié le tout récent épilogue de la Cour de Justice où il fut condamné à 10 ans de bagne, encore que le Ministère public eût presque abandonné l'accusation, eu égard à ses états de service dans la Résistance et à sa déportation» et de Maurice Duclos, héros de la guerre secrète, titulaire de la Croix de la Libération, revenu d’Amérique du Sud pour être jugé, « ce qui semble bien être le record du respect de la loi.»
Lors de la 38e audience, le 27 novembre, le président Leroux lit les réponses aux 262 questions posées puis la sentence tombe: 11 acquittements, des condamnations aux travaux forcés (une à perpétuité, une à 20 ans et une à 5 ans), des emprisonnements de 2 à 10 ans, et des emprisonnements avec sursis allant de 4 mois à 2 ans. 20 ans de travaux forcés pour François Méténier. Maurice Duclos est acquitté.
En conclusion, une organisation dangereuse et rocambolesque
Selon Jean-Marie Tournoux : « Criminelle, l'entreprise de la Cagoule évolue aussi dans la puérilité, le romantisme, les aspects rocambolesques », « qu'ils soient miliciens ou déportés, ils resteront des maniaques du complot, du renseignement et de l'anticommunisme ».
Selon Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet : « Ce sont vraiment des méchants », « la Cagoule est celle qui est allée le plus loin dans les groupuscules de l’époque », « des pieds nickelés amateurs dangereux qui ne savent pas quel régime souhaitent les financiers et industriels qui leur allouent des sommes colossales ».
Ils rappellent aussi l’histoire du « Petit Poucet » racontée par le commissaire Guillaume : des membres de l’organisation partent en Suisse avec une voiture aux ailes bourrées de munitions ; dans l’une d’elles il y a un trou par lequel s’échappent des balles de revolver, les policiers n’ont qu’à suivre la piste jusqu’à l’adresse des trafiquants.
François Mitterand et la « rumeur cagoularde » :
L'itinéraire de François Mitterrand entre 1935 et 1942 a fait l'objet de nombreuses interprétations contradictoires. Auparavant, en 1934, il avait adhéré aux Volontaires nationaux, organisation de jeunesse des Croix-de-feu et, en 1935, participé à une manifestation organisée par l'Action française, ce qui est attesté par deux photographies.
Il est résident à l’internat des pères maristes du 104, rue de Vaugirard, dont les pensionnaires fréquentent alors les chefs de la Cagoule, sans y adhérer.
En 1942, il est parrainé par Gabriel Jeantet, ancien cagoulard, lors de la remise de la francisque par Pétain.
À la Libération, Jean-Marie Bouvyer, qui aurait participé au meurtre des frères Rosselli, bénéficie du témoignage en sa faveur de François Mitterrand ; il avait caché du matériel et fabriqué des faux papiers pour le Mouvement national des prisonniers de guerre.
D’autres membres de la famille Mitterand ont également des connexions avec la Cagoule : Robert Mitterrand, frère du président, épouse en 1939 la nièce d'Eugène Deloncle. La sœur de François Mitterrand, Marie-Josèphe de Corlieu, fut, de 1941 à 1947, la maîtresse de Jean-Marie Bouvyer, ancien cagoulard. La mère de ce dernier, Antoinette, deviendra en 1946 la marraine de Jean-Christophe Mitterrand.
Il est avéré que l’ancien président de la République n’a jamais adhéré à l’organisation terroriste. Cependant, la « rumeur cagoularde » le poursuivra pendant toute sa carrière politique. En particulier, après mai 1981 les attaques redoublent à ce sujet.
Et l’Oréal ? Eugène Schueller échappe à toute poursuite, ayant donné des gages à la Résistance … comme au régime de Vichy. Jacques Corrèze, après sa libération, prend la direction de l’Oréal pour l’Amérique. Filliol, condamné à mort par contumace, coule des jours heureux en Espagne et récupère la filiale de Madrid.
Une histoire difficile à écrire
Plusieurs pièces de l’enquête ont disparu, beaucoup de cagoulards sont difficilement identifiables, faute de photos.
Annette Finley-Croswhite et Gayle K. Brunelle, deux historiennes américaines qui travaillent depuis plusieurs années sur la Cagoule, évoquent des obstacles mis par certains conservateurs aux Archives nationales, pour accéder aux dossiers qu'un jeune conservateur leur avait signalé. On regrette aussi la disparition des mémoires de Pierre Mondanel, le policier qui a démantelé la Cagoule, manuscrit déposé après son décès par sa famille à la Bibliothèque nationale.
La proximité avec le monde politique, l’Etat major et certaines grandes entreprises n'y est peut-être pas étrangère.
Reste le mystérieux cas de Laetitia Toureaux
16 mai 1937, elle est retrouvée assassinée dans un wagon de première classe du métro à la station Porte Dorée ; un passager la découvre affalée sur la banquette, un couteau Laguiole planté dans le cou.
Cette jeune femme de trente ans est-elle ouvrière dans une firme de Saint-Ouen ? Ou bien travaille-t-elle sous un faux nom dans une agence de détectives privés ? Sa vie est assez trouble et mouvementée, elle a plusieurs amants, fréquente l’ambassade d’Italie et a des contacts avec les milieux fascistes italiens. Elle est aussi en contact avec un membre de la Cagoule.
Deux hommes, un interné psychiatrique en 1948 puis un soi-disant médecin anonyme en 1962, se sont accusés par lettre du meurtre.
Affaire prescrite, on ne connaîtra jamais le nom de l’assassin.
Dernier cadeau de la Cagoule
Le 26 janvier 1938, entre 9h45 et 10h10, une terrible explosion détruit le laboratoire municipal pyrotechnique de Villejuif. On y avait entreposé les explosifs saisis dans les différentes caches de l’OSARN. Quatorze personnes ont trouvé la mort !
Un dernier attentat terroriste ?
Pour en savoir plus :
Vincent Brugeas, Emmanuel Herzet, Damour – La Cagoule (Trois tomes, éd. Glénat, 2019)
La Cagoule, Philippe Bourdet, 1970
L'Histoire secrète. La Cagoule, le Front populaire, Vichy, Londres, Plon, 1962
La Cagoule inspire les fêtes mondaines (1937)