15 : Mercredi 11 septembre 1792 – Premier du vol des joyaux de la Couronne
Hôtel de la Marine (8e)
Sommaire :
Les Joyaux de la Couronne
La constitution de la collection prend naissance en 1530, sous François Ier avec huit pierres colorées, pour la plupart serties sur des bagues d’Anne de Bretagne. L’inventaire est fait trois semaines avant le mariage du roi avec Eléonore d’Autriche ; des lettres patentes stipulent leur inaliénabilité, les bijoux doivent être remis au Trésor Royal à la mort du mari. De ce premier fonds ne subsiste qu’une pierre, la « Côte-de-Bretagne », un spinelle, les autres ont permis à Henri III de financer les guerres de religion.
Le fonds s’enrichit considérablement avec l’apport de Louis XIV et Mazarin, qui y ajoute un des plus gros diamants, le « Sancy ». En 1717, le fameux « Régent », diamant de 140 carats, considéré comme le plus beau et le plus pur des diamants, vient ensuite grossir la prestigieuse collection. Louis XVI, à l’occasion de son sacre, fait sertir la couronne du Sancy, à côté de 281 autres diamants, 64 pierres précieuses et de nombreuses perles.
Le Régent et le Beau Sancy
À la Révolution, l’inventaire de juin 1791 fait état de 9 547 diamants, 506 perles, 230 rubis et spinelles, 71 topazes, 150 émeraudes, 35 saphirs et 19 pierres. Le prix des joyaux est estimé à 23 922 197 livres. Le « Régent » seul est estimé à 12 millions, le « bleu de France » (aucun diamant bleu aussi pur ne semble avoir été trouvé depuis) à 3 millions, et le « Sancy » à 1 million.
La place Louis XV
En 1748, pour célébrer le traité d’Aix-la-Chapelle, la Ville de Paris propose d’ériger une statue équestre du roi Louis XV. Le lieu retenu est une esplanade vide située à l’extrémité Ouest du jardin des Tuileries. Cinq ans plus tard, Ange-Jacques Gabriel Premier architecte du Roi propose les plans définitifs de la future place Louis XV avec la statue équestre du monarque au centre et des jardins en fossés secs tout autour. C’est la première grande place ouverte de Paris ; seul le côté nord où débouche la rue Royale est occupé par deux palais jumeaux. Ils seront terminés en 1765.
Le palais occidental devait accueillir l’Hôtel des Monnaies, il sera finalement divisé en quatre lots (dont l’actuel Hôtel Crillon et l’Automobile Club de France). Celui de l’autre côté de la rue Royale est destiné au Garde-Meuble royal qui l’occupe dans sa totalité.
Le Garde Meuble à droite, vu du jardin des Tuileries
L’institution est chargée de l’achat, de la conservation et de l’entretien du mobilier du Roi : armes et armures, cadeaux diplomatiques, étoffes, tentures et tapisseries, vases de pierres dures, porcelaines, chinoiseries, bronzes, biscuits... mais aussi batteries de cuisine et linges de maison. Dans ces collections, sont compris les joyaux de la Couronne et les bijoux personnels de la famille royale.
Le palais comprend donc un entrepôt, des ateliers, des écuries, une bibliothèque, des appartements de fonction, une inévitable chapelle ainsi que trois salles d’exposition : la Salle d’Armes, la Galerie des Grands Meubles et la Salle des Bijoux où, à côté de pièces d’orfèvrerie de vases précieux ou des présents diplomatiques, on peut contempler les joyaux de la Couronne dont des diamants montés en parure enfermés dans des vitrines.
Thierry de Ville d’Avray
C’est le premier musée ouvert au public, organisé à la manière des cabinets de curiosité, très en vogue à la veille de la Révolution. Le Conservateur en est Thierry de Ville d’Avray ; il s’y installe somptueusement et aménage un appartement pour Marie-Antoinette, pour ses venues éventuelles à Paris. C’est des fenêtres de cet appartement que les commissaires mandatés s’assureront du bon déroulement de son exécution le 16 octobre 1793.
Le 13 juillet 1789
Après le journées d’octobre 1789 et le retour à Paris de la famille royale, les administrations du Royaume suivent : le ministre de la Marine, le comte de La Luzerne de Beuzeville et le Cartographe Gouverneur Général des Hôtels-Ministères de la Marine, de la Guerre et des Colonies occupent des espaces au deuxième étage et à l’ouest du premier étage.
Le 17 juin 1791, l’Assemblée Constituante décide l’inventaire complet du Garde-Meuble, craignant que la famille royale n’en ait escamoté une partie pour financer des activités contre-révolutionnaires.
Le ministre Roland
Les joyaux sont intacts mais une partie de l’or a disparu ; Ville d’Avray est soupçonné. Il lui est enjoint de se tenir aux ordres des commissaires ; il sera arrêté l’année suivante après la prise des Tuileries le 10 août 1792. Roland, le ministre de l’Intérieur fait nommer Jean-Bernard Restout à sa place avec le titre de Directeur du Garde-Meuble. Les neuf coffrets où Ville d’Avray avait dissimulé les trois quarts des bijoux sont remis à Roland et Restout ; l’ensemble du Garde-Meuble est mis sous scellés.
Arrivent les journées sanguinaires de septembre 1792 : après la chute de la monarchie, le chef des armées austro-prussiennes, le maréchal de Brunswick, promet par un manifeste de « livrer Paris à une exécution militaire et à une subversion totale » si « la famille royale subissait le moindre outrage ».
Sa publication met le feu aux poudres dans une capitale sous tension ; des bandes d’émeutiers investissent les prisons pour y établir des « tribunaux populaires » devant lesquels passent les « suspects » ou supposés tels. Deux sentences possibles, la relaxe ou la mort. Cette justice expéditive causera la mort de plus de mille personnes à Paris, entre le 2 et le 7 septembre ; l’ancien Conservateur du Garde-Meuble est tué le 2 septembre dans la prison de l’Abbaye.
Massacres de septembre 1792 à la prison de l’Abbaye (Saint-Germain-des-Prés)
Le « casse du siècle »
Le climat d’émeute persiste durant les journées suivant les massacres ; des insurgés prennent possession du Garde-Meuble le 11 septembre, ripaillent, font monter des prostituées et organisent des orgies sans être dérangés, d’autant mieux que les gardes nationaux ont relâché leur vigilance depuis la pose des scellés et que leur guérite se trouve à l’opposé de la cour donnant sur le Salle des bijoux.
Le 16 septembre 1792 à 23 heures, une patrouille alertée par des bruits anormaux découvre que les scellés ont été brisés. Des malandrins sont interpellés, les poches remplies de mauvais diamants. La salle est dans un désordre total mais seuls les bijoux de la Couronne semblent avoir été volés ; les neuf coffrets sont vides, quelques diamants jonchent le sol.
Au cours des jours et nuits du 11 au 15 septembre, près de 9.000 pierres ont été subtilisées, dont les fameux Régent, Sancy, Diamant bleu et Grand Saphir ; des perles, des rubis, des émeraudes, des saphirs.
Combien de voleurs étaient-ils ? Une trentaine ? Sans doute plus nombreux jour après jour. Dans l’espoir d’une certaine clémence, les interpellés dénoncent des complices. La plupart sont ainsi appréhendés dans les deux jours qui sont suivi ; souvent des repris de justice relâchés à la faveur des « tribunaux populaires » associés à une bande de voleurs professionnels, des rouennais, dont un redoutable malfrat, Paul Miette.
Dix-sept voleurs sont arrêtés, cinq sont acquittés, douze condamnés à mort, cinq exécutés entre les 13 octobre et 5 novembre 1792. Pour épargner la toute jeune République, le ministre Roland a pris soin de les étiqueter « contre-révolutionnaires », coupables de « conspiration tendant à spolier le République ». L’exécution a lieu place de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde, à quelques dizaines de mètres du lieu de leurs méfaits.
« L’Allée des Veuves » (l’avenue Montaigne) au XVIIIe siècle
Le rubis d’Anne de Bretagne est retrouvé à Hambourg, d’autres chez des receleurs. Le Sancy réapparaît à Londres au moment du procès de Danton et est restitué. Le Diamant Bleu (« Bleu de France ») a été retaillé en 1812 pour devenir le « Hope » ; cela ne sera démontré qu’en 2007. Seules, quelques pierres de la grande chaîne de 45 diamants seront retrouvées. Disparus également les plus grands insignes de chevalerie (les joyaux de la Toison d’Or emportés à Londres par les rouennais, l’épée de diamant de Louis XVI).
Le Hope
Après deux ans d’enquêtes et de recherches, les trois quarts des grandes pièces ont été retrouvées mais on suppose que certaines parmi les disparues ont été retaillées et figurent dans les joyaux du royaume d’Angleterre.
A droite, le socle de la statue de Louis XV, détruite
En 1799, la Marine investit l’ensemble du bâtiment.
Le trésor est en partie reconstitué et augmenté sous le Consulat qui fait revenir en France les bijoux engagés ; le retour des Bourbon en 1815 est aussi l’occasion d’augmenter le trésor.
En 1870, le Garde-Meuble devient Mobilier national.
En 1887, les joyaux, dont le Régent, sont attribués au musée du Louvre et exposés dans la galerie d’Apollon ; d’autres pierres sont vendues aux enchères ou confiées à l’Ecole des Mines de Paris.
Pour en savoir plus :
LE CASSE DU MILLÉNAIRE : Le vol des joyaux de la Couronne 2/3 - poussières d'étoiles (blog4ever.com)
L’Hôtel de la Marine
La Révolution
Le Garde Meuble connaît un premier pillage le 13 juillet 1789 ; les émeutiers s’emparent des armes qui, pour la plupart, sont des armes anciennes de collection.
Que sont devenus les Joyaux ?
Le plus célèbre d’entre eux, le Régent, a été retrouvé sous un tas de gravats dans l’avenue des Veuves, allée bordée d’une double rangée d’ormes et de quelques guinguettes, où on pouvait rencontrer des personnes solitaires à la recherche d’une aventure galante loin de la ville. C’est aujourd’hui l’avenue Montaigne.
Les rumeurs ont couru bon train
A qui a profité le crime ? On a vite supposé que seuls des comparses ont été arrêtés.
Roland et Restout ? la garde était anormalement réduite à la suite de maladies ou de permissions supposées. Ils auraient vidé les coffrets à leur profit ou au profit des armées révolutionnaires avant de les mettre sous scellés. Jean-Bernard Restout a toutefois réclamé des renforts au ministre de l’Intérieur, estimant le Garde-Meuble insuffisamment gardé.
Thierry de Ville d’Avray ? dès la fuite du Roi à Varennes sous le prétexte d'opérations de retaille ou de réparation, aurait-il réussi à évacuer les pierres les plus importantes vers des diamantaires flamands pour financer une éventuelle armée contre-révolutionnaire ? Il aurait alors remis des coffrets déjà vides.
Est-ce Alexandre Lemoine-Crécy, beau-frère de Ville d’Avray ? Il avait la charge de Garde général de la Couronne ; c’est lui qui remit les coffrets personnellement à Roland et Restout. On sait qu’il y eut des échanges entre lui et des banquiers hollandais.
Danton fut aussi soupçonné : le ministre aurait remis les joyaux au duc de Brunswick pour monnayer une retraite des troupes austro-prussiennes à Valmy, face à des armées révolutionnaires mal équipées et affamées. On trouve ainsi une explication à la victoire rapide et inattendue des troupes françaises près du célèbre moulin.
Tout cela n’est que suppositions.
Les bijoux retrouvés rejoignent pour la plupart les collections du Museum d’Histoire Naturelle en 1795.
Le Garde-Meuble après le « casse »
Dans un premier temps, il est purement et simplement supprimé en 1793. Une partie des meubles et objets d’art sont vendus ou brûlés pour récupérer les métaux précieux. Toujours pour financer la guerre, le Directoire vend une partie des pierres à l’étranger ; des diamants sont mis en gage.
Le 21 janvier 1793, Gaspard Monge, ministre de la Marine, assiste à l’exécution du roi depuis son bureau et contresigne l’acte de décès du roi.