33 - Fin 1942 – La cache d’Etienne Boltanski
103, rue de Grenelle
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La cache est ce lieu où a vécu Etienne, le père du plasticien Christian Boltanski, durant de nombreux mois au cours de l’Occupation. Cette incroyable histoire est relatée par le petit-fils d’Etienne, Christophe, dans La cache.
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photo du 103 rue de Grenelle
L’hôtel particulier dans lequel les Boltanski ont été locataires d’un appartement pendant une longue période. La famille, c’est le couple Etienne et Marie-Elise ainsi que leurs enfants Jean-Hélie, né dans les années 30, linguiste, Luc, né en 1940, sociologue et Christian, né en 1944, artiste plasticien.
Christophe, fils de Luc est l'auteur d’un livre La cache..
Etienne Boltanski est issu d’une famille juive, pauvre, émigrée d’Odessa. Il a fait des études de médecine et fut engagé dans la Première Guerre mondiale en tant que médecin militaire ; il eut à réparer, tant que faire se peut, les dégâts de cette boucherie.
Chef de clinique réputé durant l’entre-deux guerres, ses qualités attisent la jalousie et l’antisémitisme de certains de ses collègues ; un collègue lui dira : «Au Moyen Age, ne portiez-vous pas la rouelle ?».
Entre août 1940 et l’été 1941, une série de lois et de décrets vont exclure les juifs des professions médicales, à l’exception de la médecine libérale où un numerus clausus (2%) limite leur nombre. Etienne Boltanski est radié de l’ordre des médecins, tout nouvellement créé (octobre 1940).
Sa femme, Marie-Elise, est issue d’une famille bourgeoise et catholique, écrivaine sous le nom de Annie Lauran, ; ses livres sont le recueil de témoignages des plus démunis. Elle-même a été atteinte de poliomyélite dans sa jeunesse, ce qui l’a empêchée de suivre des études de médecine.
Elle est la première à comprendre qu’Étienne, tout ancien combattant qu’il fût, converti au catholicisme dans les années trente, grand lecteur de saint François de Sales et de saint Augustin, n’avait guère de chances de s’en sortir.
Fin 1942, ils décident une bruyante mise en scène, à destination des autres habitants de l’ancien hôtel particulier qui ne vouent pas tous une grande sympathie pour cette famille ; la délation pourrait tenter certains. La décision est prise quand un voisin menace de dénoncer le Juif ; Etienne avait chassé le chat de ce voisin qui s’était introduit dans l’appartement et avait pissé partout. Marie-Elise et son mari simulent une violente dispute qui se termine par une porte fermée avec fracas. Le Juif disparaît. Plus tard, le couple divorce.
Etienne va passer vingt mois dans une cache, l’«entre-deux», que Christophe, le petit-fils, compare à une Fiat 500 dans son livre. Au premier étage, un mètre vingt de hauteur de plafond, près de la salle de bains et de l’escalier menant au rez-de-chaussée.
Christian Boltanski : «Mon frère, Luc, qui a cinq ans de plus que moi, ne savait pas qu’il était là, il pensait que son père avait disparu et il était très malheureux de cette disparition. Ma mère a pu garder le secret grâce à l’aide de mon plus vieux frère, Jean-Elie, qui avait douze ou treize ans et a tout pris sur lui» .
Après vingt mois passés dans ce réduit, Etienne revoit enfin le soleil en août 1944. «Il sortait de temps en temps – la preuve, c’est qu’ils m’ont fabriqué !» (Christian Boltanski).
Etienne et Marie-Elise se remarient en 1946.
Christian Boltanski en 1990
Pour en savoir plus :
https://www.liberation.fr/livres/2015/08/28/passe-interieur_1371325/
Christophe Boltanski, « La Cache », Stock, 2015.
Christian Boltanski, Catherine Grenier, «la vie possible de Christian Boltanski»), Seuil, 2007