23 - 3 mars 1942 – Les Anglais bombardent les usines Renault à Billancourt
Ile Seguin à Boulogne-Billancourt
C’est surtout à partir de 1943 que les bombardements vont s’intensifier ; la stratégie des Alliés vise à préparer le débarquement par une campagne de bombardements massive sur toutes les installations susceptibles d’être utilisées par les Allemands : gares de triage, usines, ponts, dépôts de carburant et de munitions, aéroports, etc.
Des bombardements dont la précision est parfois approximative : 60% des bombardements de jour et 40% des bombardements de nuit auraient trouvé leur objectif. Le nombre de victimes civiles en France a été évalué à 67 000 morts et 75 000 blessés. Quelques chiffres bruts concernant la région parisienne : 623 morts et 1505 blessés lors du bombardement à Boulogne Billancourt de mars 1942, 403 morts le 4 avril 1943. 640 morts lors du bombardement de la gare de triage de La Chapelle le 20 avril 1943.
Bombes sur Villacoublay
Témoignages
Journal de Jean Guéhenno, 4 mars 1942 : Hier soir, par le clair de lune, les Anglais ont bombardé les usines Renault à Boulogne-Billancourt. Bombardement massif, continu, le premier que nous ayons vraiment subi. Pour mieux voir, je suis allée avec Vaillant, place des Fêtes, mais de là même on ne voyait pas grand-chose. Rien que les fusées, la lueur des incendies, de l’autre côté de Paris, et, deux fois, au-dessus de la place, deux avions comme des ombres sur les nuages. Nous avons bavardé avec les gens. Personne n’était indigné. Le plus grand nombre cachait mal sa jubilation. L’autorité occupante n’avait pas même donné l’alerte. Il y eut 500 morts, plus de cinq cents blessés. A deux heures cet après-midi, toutes les sirènes beuglent ; pour rien naturellement. L’autorité occupante s’amuse. Demain matin, fusillade de vingt otages.
Patrick Modiano, dans Dora Bruder évoque des bombardement lointains jusqu’à minuit le 28 mars 1942
5 avril 1943, Jean Guéhenno : Bombardement des usines Renault à Billancourt, hier à deux heures (14h00). Quelques bombes sont tombées sur le champ de courses à Longchamp, où se trouvaient des postes de DCA. On a vite ramassé les morts, les blessés, les débris d’hommes et puis on a sonné le départ de la première course. Les jeux étaient faits. Ne fallait-il pas tenir les paris des vivants et des morts ? Ce petit fait donne assez bien la mesure de notre avilissement. En même temps que la liste des victimes, le journal, ce matin, publie les résultats des courses.
Ernst Jünger : A midi, on comptait plus de 200 morts. Quelques bombes ont atteint le champ de courses de Longchamp où se pressait une foule dense. A la sortie des bouches de métro, les promeneurs du dimanche heurtaient des groupes de blessés hors d’haleine, aux vêtements en loques, qui se tenaient la tête ou le bras, une mère serrant sur sa poitrine un enfant ensanglanté. Un pont a été également touché et un grand nombre de passants, dont on repêche en ce moment les corps, ont été projetés dans la Seine. Au même instant, de l’autre côté du Bois, flânait une foule joyeuse, endimanchée, toute à la joie des arbres, des fleurs, de la douceur de l’air printanier. Telle est la face de Janus de ce temps.
Usines Renault
Ernst Jünger, 9 avril 1943 : Nous avons depuis une quinzaine de jours de nouveaux divertissements. Les Anglais viennent presque toutes les nuits. Ils attendent que la lune se lève et traversent la grande nuit d’argent. Les sirènes hurlent. Mais les gens, fatalistes, ne descendent plus dans les abris. Ils tirent les rideaux des fenêtres pour assister de leur lit au feu d’artifice. Notre maison est malheureusement trop basse. Je ne vois que le reflet dans le ciel des éclairs des bombes. J’entends un avion qui gronde, et je devine son vol, je suis sa trace à ces étoiles, ces éclats des obus qui le poursuivent. Parfois toute la chambre se remplit de lumière, et cela dure quelques minutes. C’est une fusée que les Anglais ont lancée pour mieux voir et qui, emportée par le vent, se balance au-dessus des maisons. Les ombres des arbres tournent autour de la chambre, sur les meubles, dans les miroirs.
Toujours Ernst Jünger, 24 août 1943 : A sept heures moins le quart, une grande formation a survolé la ville à basse altitude, encadrée par les petits flocons marron et violet de la DCA. Sans se laisser dévier de sa route, elle vola en direction de l’Etoile, au-dessus de l’avenue Kléber. Ces spectacles dans le ciel des métropoles ont quelque chose de titanesque ; la force monstrueuse du travail collectif cesse d’être anonyme et se montre au grand jour. C’est pourquoi ces spectacles ont aussi une sorte de gaieté. Ce raid était dirigé contre l’aérodrome de Villacoublay ; le bombardement a détruit douze hangars, 21 bombardiers, et labouré la piste d’envol. En outre, des fermes ont été détruites dans les villages voisins, et de nombreux habitants ont péri. Près d’un boqueteau, on a retrouvé un cycliste et sa bicyclette ; il avait été projeté de très loin par le souffle d’une bombe.
Robert Aron, lui, évoque un bombardement fin 1943 : une formation des Forces Françaises Libres, sous le commandement du lieutenant-colonel de Raucourt et du capitaine Pierre Mendès-France, «chargée de démolir en plein jour le transformateur d’Orly, avait effectué sa mission au ras du sol, de façon à ne toucher que l’objectif militaire et à éviter tout écart des projectiles. Risque exceptionnel qu’il était normal que des Français, opérant en France, acceptassent de courir, mais que des commandements étrangers même alliés ne pouvaient imposer à leurs pilotes».
Jean Guéhenno - 20 avril 1944 : Bombardement de La Chapelle. En même temps que les sirènes donnaient l’alerte, tombaient les premières bombes. Il n’était plus temps de gagner un abri. Nous sommes restés dans notre fragile maison, toutes les fenêtres ouvertes, et n’avons d’autre recours que de contempler le spectacle. Magnifique mais assez effrayant. L’homme est étonnamment puissant et bête.
Bombe sur Montmartre lors du bombardement de la Chapelle
Pierre Assouline : «Don Juan avec Jean Vilar avait été interrompu par les bombardements de Billancourt et de Charenton. Malgré les coupures de courant et le dernier métro à 23h00, ce fut un succès. Le moment qui déclencha un éclat de rire général : quand le garçon dit : «Nous avons de l’électricité à discrétion». La réplique qui résume tout : «Pas besoin de gril, l’enfer c’est les autres». Commentaires élogieux dans la presse. Succès public»
Pierre Assouline, Hôtel Lutétia, Gallimard
Robert Aron, Histoire de Vichy, livre de poche
Jean Guéhenno, Journal des années noires, livre de poche
Ernst Jünger, Julliard