Monument funéraire de Victor Noir (1891)

Cimetière du Père Lachaise (92e division) - Gisant en bronze

Certaines tombes font l’objet d’un véritable culte. Héloïse et Abélard, Allan Kardec, Jim Morrison. Et Victor Noir.

Un jeune homme allongé, les mains étendues le long du corps, son chapeau à ses pieds. Certaines parties du gisant brillent, objets de nombreux attouchements.

10 janvier 1870

Yvan Salmon, alias Victor Noir (1848-1870), l’un des monuments les plus visités du Père-Lachaise. La légende veut qu’en frottant le gisant, surtout à l’endroit du sexe, on recouvre fécondité ou virilité.

Yvan Salmon est un jeune journaliste qui collabore à différentes publications dont la dernière en date, La Marseillaise, lancé par Henri Rochefort. Une polémique s’est envenimée entre un journaliste de ce journal, Grousset, et Pierre Bonaparte, cousin de Napoléon III (la querelle concerne les élections en Corse, un autre journaliste a même décerné un brevet de banditisme à la « clique » Bonaparte). Le 10 janvier 1870, Grousset envoie deux témoins au domicile du prince, à Auteuil : Ulric de Fonvielle et Victor Noir. Nul ne sait ce qui se passe sinon que, dans un mouvement de colère, Bonaparte tue Victor Noir d’un coup de pistolet. Il a 22 ans. Un drame qui tombe particulièrement mal pour Napoléon III à un moment où le régime tente de redorer son blason par quelques touches de libéralisme.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre ; le jeune journaliste fait immédiatement figure de martyr. Une foule de 100.000 personnes accompagne le cortège funèbre au cri de « Au Père Lachaise ! ». La troupe barrera la route au cortège ; Henri Rochefort fait en sorte d’éviter l’affrontement et Victor Noir sera inhumé au cimetière de Neuilly ; ce n’est qu’après la chute de l’Empire que la dépouille sera transférée dans le cimetière parisien.

Pierre Bonaparte est jugé, mais loin de Paris, à Tours, et par une Haute Cour qui lui est favorable ; il sera acquitté au scandale de l’opinion. Quant à Henri Rochefort qui évita le bain de sang, il sera arrêté pour incitation à la révolte.

Culte de Victor Noir

Dès l’annonce de sa mort, la jeune victime, tuée deux jours avant son mariage, est devenue martyr de la cause républicaine.

A la fin des années 1880, la Troisième République est installée, la dépouille du journaliste est maintenant au Père-Lachaise. Le gouvernement décide de lui rendre un hommage officiel. Une souscription publique est lancée afin de permettre l’édification d’un monument.

Qui de mieux placé que Dalou pour réaliser ce monument ?

L’idée du gisant s’impose à Dalou pour évoquer la fin tragique du défunt, une forme funéraire héritée du Moyen-Âge et qui revient au goût du jour en cette fin de XIXème siècle. Dalou veut aussi rendre la vérité du drame, saisir l’instant. Le gisant est, par conséquent, d’un réalisme étonnant.

La beauté de l’œuvre favorise la perpétuation du culte du martyr républicain. Un culte politique ; on rend hommage au jeune Victor, en même temps qu’aux fusillés du mur des Fédérés et des personnalités de la Commune.

Les années passent et le culte politique va être remplacé par un autre à caractère sexuel. Dalou a rendu avec exactitude l’anatomie du jeune homme. Depuis un certain nombre d’années, se frotter contre le sexe serait pour une femme gage de fécondité.

Le premier témoignage de cette pratique serait un dessin datant de 1929. Mais ce sont surtout les années soixante qui voient le développement de cette pratique, avec l’aide des guides touristiques.

Les fleurs régulièrement posées sur la tombe sont les témoins du rituel, ou bien encore des prières sur des petits papiers. Si elles sont exaucées, on pourra déposer une paire de petits chaussons dans le chapeau, en guise d’ex-voto.

A vous de vérifier quelles sont les parties du gisant les plus « frottées »

Pour en savoir plus : Marina Emelyanova-Griva, « La tombe de Victor Noir au cimetière du Père-Lachaise », Archives de sciences sociales des religions.

https://journals.openedition.org/assr/21870

L’œuvre de Dalou