27 : 2 décembre 1804 : Notre-Dame, le sacre

Sacre phase 1 : le Consulat à vie

En avril 1802, l’étoile de Bonaparte est au plus haut : l’Europe est pacifiée depuis le 25 mars 1802 et la paix d’Amiens (à l’exception de l’Angleterre toutefois) ; c’est aussi la paix religieuse depuis le Concordat, célébré par le Te Deum du 18 avril. A cela s’ajoute une reprise économique rapide. La route est ouverte pour le Consulat à vie, en gage de reconnaissance au Premier Consul.

Il faut au préalable faire quelques « aménagements » : les opposants tels Benjamin Constant, les proches de Siéyès ou de Mme de Staël sont évincés du Tribunat au moment du renouvellement. L’armée est mise au pas en éloignant les agitateurs potentiels tels que Moreau, Lecourbe destitué, ou Brune, nommé ambassadeur à Constantinople. Fouché, ministre de la police et soupçonné d’être hostile au projet, sera bientôt remercié.

La propagande n’a plus qu’à faire son œuvre, d’autant plus facilement qu’il n’y a plus de véritable opposition.

Un deuxième plébiscite est organisé, selon le même principe que le précédent : 3.600.000 « oui » contre 8.374 « non ».

Le 2 août 1802, le Sénat proclame Bonaparte Premier Consul à vie.

Cette nomination s’accompagne d’une nouvelle constitution où le pouvoir exécutif est encore renforcé : dissolution du Tribunat et du Corps législatif, un Sénat plus puissant mais aux ordres du Consul (« destiné à être un corps d’hommes vieux et usés » Napoléon dixit).

Sacre phase 2 : vers l’Empire

On va profiter de l’émoi dans l’opinion publique causé par la conspiration de Cadoudal pour mettre en avant une nouvelle idée ; le Consul à vie peut disparaître à tout moment. Il faut assurer la continuité du régime. Comment assurer une succession au Consul ? Par sa propre descendance, rendre le régime héréditaire, autrement dit, il faut transformer le Consulat en Empire. Il n’y a qu’une seule opposition de marque, celle de Carnot.

Le 18 mai 1804, un sénatus-consulte promulgue la nouvelle constitution. Le titre impérial est transmis automatiquement à la descendance, à l’exception des femmes, ou à la descendance de ses frères Joseph ou Louis. De nouvelles hautes dignités sont créées, telles qu’architrésorier, archichancelier ou grand connétable, ainsi que 16 maréchaux d’empire. On assiste à la naissance d’une nouvelle aristocratie, dont la justification est le mérite.

On met en place un troisième plébiscite invitant le peuple à accepter « l’hérédité de la dignité impériale ». Résultat : 3.577.000 oui, 2.569 non.

Vers Le Sacre

L’organisation d’une cérémonie du sacre n’est pas prévue par la constitution ; la nouvelle suscite la surprise et la désapprobation chez certains. Pourquoi donner une dimension mystique à tout cela ? De surcroît, Bonaparte s’est mis dans la tête l’idée de faire venir le pape Pie VII. Il surpasse ainsi Charlemagne sacré empereur en 800 par Léon III, mais à Rome. Pie VII accepte à contrecoeur, avec l’idée de pouvoir négocier, en contrepartie, quelques modifications au Concordat.

Dans la nuit du 1er au 2 décembre, Joséphine confie à Pie VII qu’elle ne s’est pas mariée devant Dieu. Pie VII ne veut pas transiger : pas de sacre d’un homme hors la loi divine. Le matin, dans une chambre écartée des Tuileries, le cardinal Fesch, l’oncle du futur empereur, bénit secrètement le mariage.

Le sacre

Wikigallery


Le 2 décembre au matin, alors que les cloches de Notre-Dame sonnent à toute volée, 25 carrosses et 152 chevaux quittent les Tuileries à onze heures, 80.000 soldats font la haie jusqu’à Notre-Dame.

La cathédrale est alors en fort mauvais état et l’architecture gothique bien loin de la mode néo-classique. Jean-Baptiste Isabey, élève de David, est chargé de la mise en scène : des gradins sont installés des deux côtés de la nef pour accueillir les officiers et magistrats invités par l'empereur, les membres des assemblées. On cache la misère avec un décor par plaquage, des rideaux et tentures aux abeilles d’or recouvrent les murs et les piliers, la pierre disparaît sous du carton imitant le marbre, un voile cache la voûte de la cathédrale.

La cérémonie commence au son des  canons et en présence du Corps Diplomatique, des Assemblées, des représentants des bonnes villes, de la cour. Une cérémonie fastueuse dans une cathédrale bondée.

Il y a en fait deux cérémonies : la cérémonie religieuse célébrée par le pape Pie VII, puis celle du couronnement. Le tout dura près de cinq heures !

Madame de Rémusat, amie de Joséphine : « Sa petite taille se fondait sous son énorme manteau d'hermine. Une simple couronne de laurier ceignait sa tête ; il ressemblait à une médaille antique. Mais il était d'une pâleur extrême, véritablement ému et son regard trouble. Après s'être couronné lui-même, Napoléon couronna Joséphine. Le moment où l'impératrice fut couronnée excita un mouvement général d'admiration. Elle marcha si bien vers l'autel, s'agenouilla d'une manière si élégante et si simple que cet acte satisfit tous les regards. [...] Le pape durant toute la cérémonie eut toujours un peu l'air d'une victime résignée, mais résignée noblement. »

Le pape les bénit en prononçant ces mots : « Sur ce trône de l'Empire que vous affermisse et que, dans son royaume éternel, vous fasse régner avec lui, Jésus-Christ, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, qui vit et règne avec Dieu le père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. » Puis Pie VII donne l'accolade à l'empereur et dit : « Vivat Imperator in aeternum », ce à quoi répond l'assistance par des « Vive l'Empereur » et « Vive l'Impératrice ».

Napoléon s’est donc couronné lui-même, c’est un symbole fort et prévu par le protocole discuté avec le légat du pape. Napoléon n’a donc pas pris la couronne des mains du pape (Madame de Rémusat : « Cela fait, l'empereur prit également sur l'autel la couronne destinée à l'impératrice, et la mit sur la tête de Joséphine à genoux devant lui. […] Puis l'empereur, assis, la couronne sur la tête, et la main sur les Saints Évangiles, prononça le serment. ».


Arrive donc la deuxième cérémonie, la prestation du serment à la Nation :

« Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter les lois du Concordat et de la liberté des cultes ; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi ; de maintenir l'institution de la Légion d'honneur ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »

Napoléon est ainsi le « représentant couronné de la Révolution triomphante » ! La Révolution des notables, en particulier. Jean Tulard rapporte ce commentaire de Balzac dans Les Paysans : « L’homme qui assurait la possession des biens nationaux. »

Quand Napoléon sort de Notre-Dame, il est salué par une salve de cent-un coups de canons, les cris enthousiastes de la foule (les premiers « vive l’Empereur »). L’événement est fêté tout au long du mois de décembre.

Quelques commentaires :

L’ambassadeur de la République Batave : « Le froid a terriblement fait souffrir les assistants, surtout les dames, qui ne peuvent échapper au mal, du fait de la légèreté de leur vêtement et de ce que le cérémonial ne leur permettait point de se couvrir d'un châle comme elles le font autrement. Il faisait si froid, surtout dans cette immense cathédrale, que même les hommes n'y tenaient plus. »

Lors des préparatifs de la cérémonie, Napoléon aurait dit à son frère Joseph : « Si notre père nous voyait. »

Devant un autre interlocuteur, Letizia, qui n’avait pas voulu assister à la cérémonie, aurait fait un autre commentaire : « Pourvu que ça dure ! »

La couronne de Napoléon Ier est conservée au musée du Louvre.


Sources :

http://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/sacre

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sacre_de_Napoléon_Ier 

Jean Tulard : Bonaparte (Fayard)


28 : Le Sacre de Napoléon (le tableau)


David, tout nouveau premier peintre de l'empereur, commence sa réalisation de cette œuvre de commande plus d’un an après l’événement, assisté par son élève Georges Rouget. Il sera achevé en mars 1808. Le tableau représente avant tout le couronnement de l'impératrice Joséphine et non celui de l'empereur, ce qui provoque les critiques de plusieurs dignitaires à l'égard de David.

La composition s’inspire du Couronnement de Marie de Médicis de Rubens.

Elle rassemble plus de deux cents personnages et David a pris quelques libertés avec la réalité de la cérémonie. Les rideaux n'étaient présents que dans la nef mais David les invente dans le chœur. Plusieurs personnalités représentées n’étaient pas présentes, tel le cardinal Caprara - malade ce jour-là - légat pontifical qui a négocié le protocole de la cérémonie. Le geste du pape est une interprétation artistique.

Les acteurs

1 : Napoléon Ier, en tenue de « grand habillement » du sacre, composé d'une tunique de soie blanche, d'un manteau de velours pourpre pesant 40 kilos, brodé et semé d'abeilles d'or et doublé d'hermine, d'une cravate en dentelle, de souliers et de gants blancs brodés d'or, et d'une couronne de laurier en or fin.

2 : Joséphine, en « grand habillement », agenouillée sur un coussin carré de velours violet semé d’abeilles, une robe décorée de soieries.

3 : Maria Letizia, la mère de Napoléon portant un diadème et un voile sur la tête, est placée trônant au centre de la loge principale, entourée d’ambassadeurs. En réalité, elle n'a pas assisté à la cérémonie pour protester contre la brouille de Napoléon avec son frère Lucien. Mais elle demande au peintre de lui attribuer une place d’honneur.

4 : Louis Bonaparte.

5 : Joseph Bonaparte.

6 : Le jeune Napoléon-Charles, fils de Louis et Hortense de Beauharnais ; il mourra à l’âge de 5 ans.

7 : Derrière Joséphine, ses dames d'honneur en blanc et en diadème. De gauche à droite, les trois soeurs de Napoléon (Caroline Murat, Pauline Borghese et Elisa Baciochi), Hortense de Beauharnais tenant son fils, Désirée Clary, épouse Bernadotte.

8 : Au moment du couronnement, deux des dames d'honneur sont au parterre pour soutenir cette lourde traîne : Mme de La Rochefoucauld, sa cousine et Mme de La Valette, sa dame d’atours.

9 : Murat (1767-1815), époux de Caroline, en habit brodé d’or et culotte de satin, tient encore le coussin sur lequel reposait la couronne.

10 : Entouré de ses vicaires, Jean-Baptiste de Belloy, l’archevêque de Paris tenant une croix dans la main.

11 : Talleyrand, grand chambellan.

12 : Au-dessus de Talleyrand, Eugène de Beauharnais en hussard, s'appuyant sur son épée, entouré à droite et à gauche par le général Savary, aide de camp, et Mr Estève, trésorier général de la Couronne.

13 : Pie VII, selon le protocole, se contente de bénir le couronnement. Il est entouré par les dignitaires ecclésiastiques, nommés par Napoléon depuis le Concordat.

Jean-Baptiste de Belloy,  l’archevêque de Paris, tient une croix.

14 : Un carnet et un crayon à la main, arborant la légion d'honneur, David s’est représenté avec sa femme et ses deux filles jumelles, entouré de ses élèves et de son maître.

15 : Cambacérès, ex deuxième Consul devenu prince-archichancelier, tient la main de justice.

16 : Charles-François Lebrun, ex troisième consul devenu« prince-architrésorier » aux côtés de Napoléon. Il tient le sceptre surmonté de l’aigle impériale.

17 : Berthier, ex ministre de la guerre sous le Consulat, tient le globe crucifère sur un coussin.

18 : Halet Efendi, l’ambassadeur ottoman, représenté sous les traits de son prédécesseur.

19 : Bernadotte


La représentation des prêtres derrière l’autel est une invention de David.

Sur les 18 maréchaux d'Empire créés à l'origine, David n'en peint que neuf dont la fonction principale dans le tableau est de porter les « ornements » impériaux ou historiques. Parmi eux, Moncey, Sérurier, Lefebvre, Kellerman.


Pourquoi le couronnement de l'impératrice, plutôt que celui de l'Empereur ?

David ne serait probablement pas parvenu à réaliser un dessin satisfaisant de Napoléon accomplissant le geste symbolique. La première version du tableau aurait dû représenter l'empereur se couronnant lui-même, comme le montre le travail préparatoire (et le repentir juste derrière la tête de Napoléon sur le tableau). Ce geste jugé peu élégant, Napoléon demande à David de le représenter couronnant Joséphine. « Que c'est grand ! Que c'est beau ! Quel relief ont tous ces ornements ! Quelle vérité ! Ce n'est pas une peinture. On vit, on marche, on parle dans ce tableau ».

Pour en savoir plus  sur :

https://daredart.blogspot.com/p/huile-sur-toile-6m10x9m70-musee-du.html