47, rue Raynouard (1840-1846)
Novembre 1840, après la déroute agricole des Jardies à Sèvres, Balzac s’installe à Passy 19, rue Basse.
Une adresse judicieusement choisie pour un homme qui risque la prison pour dettes : des voisins peu nombreux, une maison bien discrète, alors cachée par une autre qui bordait la rue Basse et aujourd’hui disparue (photo) ; en contrebas et à proximité d’une porte cochère qui donne accès au passage Berton, nommé rue du Roc à l’époque.
Madame « de Brugnol »
« Écrivez-moi à l'adresse suivante : Monsieur de Breugnol, rue Basse, n° 19, à Passy, près de Paris. Je suis là, caché pour quelque temps. »
Balzac a loué le modeste appartement du deuxième étage au nom de Melle Philiberte-Louise Breugnol, Louise Breugniot de son vrai nom. Balzac se faisait passer pour être en garni chez elle.
Louise lui a été présentée par Marcelline Desbordes-Valmore. C’est une femme sans instruction, assez jolie, économe et qui s’y connaît en affaires. Elle est sa gouvernante dévouée et attentive – elle l’a même aidé avec ses propres économies. Elle devient bientôt la maîtresse de son employeur et se voit attribuer une particule, « madame de Brugnol ».
Le sentiment se mêle à l’intérêt chez Louise alors que Balzac n’éprouve aucun sentiment particulier pour elle, jamais il ne la mentionne.
Et il doit bientôt s’en débarrasser car madame Hanska s’est enfin décidée à rejoindre l’écrivain à Paris. Il donne six mois à Louise pour trouver une situation, il l’aidera financièrement. Ulcérée par toutes ces années de dévouement non récompensées, les rêves de grandeur évaporés, la gouvernante dérobe une vingtaine de lettres intimes de madame Hanska pour les monnayer.
Pour l’écrivain, la jolie Louise est maintenant une « guenon ». Elle disparaît de la vie de Balzac en 1847. Pas tout à fait car elle inspirera quelques caractères de la Comédie humaine tels que la Cousine Bette ou madame Sauvage du Cousin Pons.
C’est à cette adresse que la Comédie humaine prend corps
Cette idée d’œuvre globale, Balzac l’avait depuis 1834. « Je crois qu’en 1838, les trois parties de cette œuvre gigantesque seront, sinon parachevées, du moins superposées » écrit-il à Eve Hanska.
En 1839, il dit vouloir écrire « l'histoire des mœurs contemporaines. Ça formera 40 volumes ». Il songeait à 145 titres, 90 seront publiés du vivant de l'auteur.
En 1842, le titre définitif est trouvé : La Comédie humaine, en référence à Dante.
Le projet est démesuré, il estime qu’il faut « deux ou trois mille figures saillantes d’une époque, car telle est, en définitif, la somme des types que présente chaque génération et que La Comédie humaine comportera ». Il y en a finalement près de 2 500 ! Plus de 500 réapparaissent de nombreuses fois, ainsi l’ambitieux Rastignac, le banquier Nucingen, le notaire Derville, Ester Gobseck la courtisane etc, parfois même en simples figurants.
Des contemporains serviront de modèles à nombre de personnages : Delacroix, Marie d’Agoult, Liszt, le baron de Rothschild, Hugo, Lamartine, sans oublier Balzac lui-même.
Dévoré par son œuvre
Le travail abattu est phénoménal : il reprend les romans précédents pour donner cohérence au tout. Les tirages sont surchargés de rectifications, annotés six ou sept fois, un vrai cauchemar pour les typographes. A ces adaptations s’ajoutent les œuvres nouvelles : la Rabouilleuse, Splendeur et misère des courtisanes, etc.
A Eve Hanska : « Les 24 heures dont 7 appartiennent au sommeil sont toujours trop courtes. La plupart du temps, je ne me soigne pas corporellement, je n’ai ni le temps de me baigner, ni de m’habiller, ni de me raser. »
Voici la description qu’en donne Pierre Chardon : « Léger repas à six heures du soir. Il se couche, se fait réveiller vers minuit, s’enveloppe d’un froc de laine blanche, puis armé d’une plume de corbeau, muni de papier, d’encre, il s’installe. Du café extrêmement fort, non sucré, chauffe sur une veilleuse. […] Il écrit jusque vers sept heures. Il s’arrête, prend un bain, s’allonge sur son divan, rêve. De huit à neuf heures vient l’éditeur. Puis reprise de la plume jusqu’à midi. Petit repas. Il recommence jusqu’à six heures. Cette claustration, ce jeûne, durent un mois, deux mois. Quand Balzac reparaît dans le monde, au théâtre, dans les journaux, amaigri, le visage creusé, les yeux cernés et brillants, il ressemble à un chien toujours attaché qui a rompu sa chaîne. » (Pierre Chardon, Expliquez-moi … Balzac)